Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme |
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04 mai 2005 |
Plus sur Bévues de Presse :
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24 - La déplenelisation des écrits et le journalisme impressionniste d'un Eric Laurent. 23 - François d’Orcival et la représentation de la presse française. 22 - Yves Michaud, un Esprit public et sans tabou sur la PQR. 21 - Pascale Clark de France Inter à RTL, le dédain et la censure de la bien-pensance. 20 - L'arrivée de Nicolas Beytout au Figaro, la mainmise de Dassault et les réactions tardives des journaux. 19 - Rotschild-Libération et le traitement superficiel de la crise des journaux par eux-mêmes, CQFD. 18 - Le Premier pouvoir, émission ronronnante sur la presse, animée par l'habituellement percutante Elisabeth Lévy. 17 - La faute négligée du Canard Enchaîné et le tollé contre Patrick Le Lay de TF1. 16 - La mythomane du RER les attaques antisémites et le bon dos des politiques. 15 - Les fautes cachées de La face cachée du Monde. 14 - La pseudautocritique du journalisme français et les éloges spécieux pour un essai complaisant.13 - L'absence d'esprit public sur les intermittents de la presse. 12 - L'affaire d'Outreau et le manque de reportage. 11 - Les mensonges sur la presse américaine et les manipulations sur la torture en Irak. 10 - Mitterrand, le Dr Gubler et les contrevérités de Georges-Marc Benamou. 9 - Le guide Michelin manque de moyens pour faire du travail sérieux. Et la presse? 8 - Maradona-Ambiel & l'Argentine en France ou vice-versa. 7 - La liaison Borloo-Schonberg (France 2) et les liens Chirac-TF1. 6 - Le Pulitzer décerné à un journal de l'Ohio, la PQR française et l’essai Black List. 5 - La Miss France Elodie Gossuin et la réactivité à double vitesse des médias. 4 - Les médias français et le silence sur leur rôle en 1994 au Rwanda. 3 - L'affaire Pujadas-Juppé-Mazerolle et le gros mensonge de La Croix. 2 - La sur-médiatisation de Nicolas Sarkozy suit-elle celle de Jean-Marie Messier. 1 - La Dépêche du Midi, AZF-Sncf-Total et le manque de rigueur dans l'information.
24 - Le départ d'Edwy Plenel de la tête du Monde n'annonce pas la fin de ce qu'il symbolise, la confusion entre journalisme d'investigation et révélations partisanes. Tant que les spécialistes de la presse – chercheurs ou rédacteurs - n'auront pas publié d'analyses critiques sur l'enquête à la sauce Canard enchaîné ou au bouillon L'Express, le débat sur Le Monde aura été inutile. Il n'aura été qu'un rideau de fumée, alimenté par des rancoeurs personnelles plus que par la volonté de lire des articles honnêtes et sourcés. Pas de «déplenelisation» de notre culture journalistique, donc. Le cas du journaliste impressionniste Eric Laurent, ancien du Figaro Magazine et auteur de best-sellers sur l'Irakamérique des Bush, est éloquent. Ses «révélations», perlées de pseudo-confidences des grands de ce monde et dopées par les émissions de Thierry Ardisson, sont essentiellement fondées sur des éléments repris de... la presse américaine. Eric Laurent est même passé pour une victime dans l'émission Arrêt sur images, lorsque Daniel Schneidermann s'est permis de relever de sérieuses faiblesses dans son travail. Le manque d’échos dans les journaux et la défense du journaliste impressionniste par Laurence Lacour, médiatrice de l’émission, ont contribué à étouffer ce cas de maljournalisme. Pour prendre à contre-pied certains préjugés négatifs sur la presse américaine, qui est loin d'être parfaite, il est inconcevable outre-Atlantique que des «grands reporters» aussi peu rigoureux puissent être autant pris au sérieux. De la Columbia journalism review à l’American journalism review, des journalistes y enquêtent sur les contenus d'articles publiés par des confrères. Même dans des magazines plus généralistes comme The New Yorker, The Nation ou The New York Review of Books. Il y aura «déplenelisation» dans les rédactions seulement le jour où les débats sur la qualité des journaux porteront sur les contenus, sur les sources, et pas seulement sur les personnes ou sur un seul journal.
23 - L’élection de François d’Orcival à la présidence de la FNPF (Fédération nationale de la presse française) n’a rien d’enthousiasmant. Le modèle de journalisme défendu par ce patron historique de Valeurs actuelles, actuel président de son comité éditorial, n’est pas celui d’une presse dynamique, exerçant un contre-pouvoir réel et sain. François d’Orcival n’a pas fait preuve de beaucoup d'indépendance, en effet, lorsqu’il a dirigé les opérations de l’hebdomadaire. Comme l’a montré Bévues de presse, il a laissé publier (ou publié lui-même) des articles plus que complaisants sur les activités du groupe Dassault, propriétaire de l’hebdomadaire depuis 1998. Pour prendre un exemple de 2004, il faut lire son compte-rendu d’une visite du Premier ministre dans une usine d’avions Rafale prés de Bordeaux (numéro du 16 juillet). Nicolas Beytout n’osera probablement pas écrire pour Le Figaro des papiers si proches d’un communiqué de presse (et remplis de Rafale, Falcon et Mirage 2000…). Valeurs actuelles a plus généralement la particularité de publier des synthèses de l’actualité, des enquêtes éditorialisantes ou des éditos. Ces derniers sont souvent écrits par des chroniqueurs distingués et pertinents, mais trop confinés dans les débats de salons, à l’instar de son équivalent de gauche Marianne. La presse française souffre de ce journalisme qui ne donne pas la priorité à la qualité et à la densité des enquêtes de terrain. Xavier Ellie, le prédécesseur de François d’Orcival à la FNPF, n’était pas un meilleur symbole d’indépendance et de volontarisme journalistique. Il l’a notamment montré en publiant un rapport particulièrement médiocre et corporatiste sur la presse française (Bévues de presse, chap.VI). Les journaux seraient mieux défendus si leurs instances représentatives nommaient à leur tête des personnes susceptibles d’engager une véritable remise en cause de leurs fonctionnements et de leurs contenus. On peut regretter aussi qu’il n’y ait pas de débats publics sur ces nominations, parmi les lecteurs comme chez les rédacteurs. Des discussions ont lieu, mais uniquement dans des cercles restreints comme le forum Internet JOURNAliste. Le site Acrimed a également publié un portrait de François d'Orcival, dont le passé politique est très marqué à droite. C’est bon de le rappeler, mais la contestation de cette élection au FNPF doit se situer avant tout sur un terrain artisanal. D'autres dirigeants de journaux ont soutenu des régimes totalitaires et violents sans qu’on leur en tienne rigueur 35 ans après (par chance pour leur image et leur carrière, ils avaient la particularité d'être de gauche…). Le modèle journalistique illustré par Valeurs actuelles offre assez d’arguments pour contester la nomination du nouveau représentant en chef de la presse française.
22 - Philippe Meyer a consacré une partie de L’Esprit public, son émission de France culture, à la crise de la presse française (19 décembre 2004). Un débat de bon niveau, lors duquel un intervenant a pour une fois abordé la question de la qualité des journaux régionaux. Ceux-ci sont généralement ignorés dans les rencontres de ce type, si ce n'est pour se pâmer d'admiration devant un chiffre qui ne veut rien dire, celui de la diffusion d'Ouest France. Le philosophe Yves Michaud a qualifié la PQR de médiocre à quelques exceptions près, sans être contredit. Un sentiment très partagé, mais tabou. Faut-il saluer le directeur de l’Université de tous les savoirs pour sa clairvoyance ou son courage?
21 - Bravo à Elisabeth Lévy, polémiste vedette de l'émission On refait le monde sur RTL, pour avoir dénoncé les sarcasmes politiquement corrects de Pascale Clark. Cette dernière s’était moquée d’Hervé Gaymard, nouveau ministre de l’économie qui a la particularité d’être catholique pratiquant et père de huit enfants (29 novembre 2004). Le ton d’Elisabeth Lévy, quelque peu violent... pour des raisons physiologiques (à cause de ses cordes vocales!), a provoqué son éviction de RTL. Il reste que les moqueries de Pascale Clark - expliquant son autocensure d'un livre d’Hervé Gaymard pour des raisons indépendantes de son intérêt - étaient bien plus scandaleuses. D’autres intervenants de l’émission auront-ils le courage de remettre à sa place cette icône parfois liberticide de la bien-pensance journalistique ?
20 - Début 2004, la prise de contrôle d'une grande partie de la presse française par le groupe Dassault n'a pas suscité de débats à la hauteur de l’événement, hormis quelques exceptions comme la protestation de l'OFM. Le fabricant d'armes allait-il faire du Figaro et de L'Express, du Progrès ou du Dauphiné libéré, ce qu’est parfois Valeurs actuelles, un support pour ses intérêts commerciaux? On pouvait imaginer que non, la culture journalistique des deux premiers étant assez solide, et les deux régionaux ayant peu d'impact, comme l'ensemble de leurs confrères. La mainmise de Dassault sur les journaux du groupe Hersant n'était pas un phénomène isolé, cependant, symptôme du maljournalisme français. Une question que, de Franz-Olivier Giesbert sur France 3 à Alain Finkielkraut sur France Culture, des animateurs d’émissions consacrées à la presse dans notre démocratie ont oublié d’aborder dans les jours qui ont suivi ce tremblement de terre. Particulièrement édifiant, le "spécial presse" du premier magazine français de la communication, paru deux mois après (13 mai 2004): dans ce dossier annuel, Stratégies traite l'opération Dassault-Socpresse sur quelques lignes, seulement. Même The Economist s’est inquiété de ce “Dassault's assault” sur les journaux. Les médias français adoptent plus facilement des postures morales devant les succès de la télé-réalité. Lorsque durant l'été 2004, il est devenu clair que Serge Dassault s’opposait à la publication de certaines informations dans Le Figaro, la presse en a parlé (Le Monde, Libération, Le Canard enchaîné notamment). Mais s’ils avaient dénoncé fermement les pratiques liberticides de l’avionneur – s’ils avaient accepté de débattre sur cette question traitée dans Bévues de presse en particulier – on se sentirait moins en république bananière dans la France d'aujourd’hui. Lors de son élection au Sénat, Serge Dassault a eu l’honnêteté de reconnaître qu’il connaît mal le métier de journaliste, ce qui peut expliquer certaines de ses maladresses. La nomination de Nicolas Beytout à la tête du Figaro annonce-t-elle plus d’indépendance du plus grand journal conservateur français face à son actionnaire-Sénateur-Maire ? L’ex-patron des Echos est surtout connu pour ses postures peu révolutionnaires, mais il faudra le juger sur ses actes.
19 - Annonce de l’arrivée de Vincent Bolloré puis d’Edouard de Rotschild à Libération. Prise de contrôle de France soir par l’homme d’affaires contesté Raymond Lakah. Propos de Serge Dassault au sujet des idées saines dans la presse (et retour à l’age de Peyrefitte par la même occasion). Transfert de Nicolas Beytout des Echos au Figaro. Révolution de palais au Monde, départ d’Edwy Plenel et arrivée probable du groupe Lagardère. Concurrence des gratuits… La presse française est au coeur de l’actualité depuis plusieurs semaines. Des bonnes intentions aux propos inquiétants, des nominations encourageantes aux promotions préoccupantes, il s’écrit beaucoup de choses sur les journaux. La crise de la presse quotidienne est couverte par les journaux, mais une des principales causes de ce marasme est occultée. Cliquer ici
18 - Nouveauté en radio, les samedis sur France Culture, pour la saison 2004-2005. Une émission d’Elisabeth Lévy baptisée Le Premier pouvoir « décrypte » les médias. La journaliste-essayiste-productrice s’entoure notamment des directeurs de Charlie Hebdo et du Figaro Magazine, Philippe Val et Joseph Macé-Scaron, et d’autres intellectuels et journalistes (Gilles Casanova, Stéphane Rozès, Marcel Gauchet, Cyril Lemieux, Hélène Risser...). « Le ton de l'émission sera vif, voire polémique » annonçait France Culture au moment de la rentrée. Mais Le Premier pouvoir a réservé peu de surprises à cause de son casting très Paris-intello-caviar. L’émission inaugurale, par exemple, avait pour plat principal le reportage de guerre (à travers les deux journalistes alors otages en Irak, Christian Chesnot et Georges Malbrunot), et en dessert Nicolas Sarkozy. Les propos étaient plutôt intéressants, car les intervenants le sont : Lévy-Val-Rozès-Casanova, accompagnés d’Yves Thréard du Figaro (un des employeurs de Malbrunot) et de Brice Hortefeux (député européen et porte-flingue de Sarkozy). Mais les questions qui fâchent ont été évitées pour la plupart, sauf quand Lévy a dit à Thréard qu’elle l’inviterait aussi au sujet du Figaro et du groupe Dassault… On s’est contenté de parler des grands journaux nationaux, surtout Le Figaro et Marianne, ce qui n’est pas très adroit car Lévy y travaille. Rien, non plus, sur le ridicule de France 2, par exemple, qui a interrompu ses programmes quelques jours plus tôt pour annoncer la possible libération des otages… parce que des télévisions arabes l’ont dit. Dans la deuxième partie, consacrée à la surmédiatisation de «Sarko», seul ce dernier a été mis en accusation, pratiquement. Pas de véritable débat sur le moutonnisme des médias, avec des intervenants qui se montrent également incapables de s’intéresser à ce qui se publie hors de Paris au sujet du ministre-star. Concernant l’emprise de Serge Dassault sur Le Figaro, Lévy a tenu promesse en lui consacrant une émission au bout d’un mois, sans Yves Thréard. Un peu tard, cependant, car c’était le surlendemain de la nomination de Nicolas Beytout à la direction de ce journal. Les principaux intervenants – Philippe Val, Armelle Héliot (de la société des rédacteurs du Figaro) et Claude Askolovitch (du Nouvel Observateur) – se sont lancé dans des éloges ceausescuiens de Beytout, qui n’est pas irréprochable. En revanche, le directeur de la rédaction évincé, Jean de Belot a eu droit à un lynchage en règle. Il fallait l’attaquer quand il exerçait un pouvoir, ce n’est pas très digne d’avoir attendu sa chute… comme ceux qui ont critiqué Le Monde et ses dirigeants une fois le livre de Péan-Cohen paru. Elisabeth Lévy devrait se montrer directe avec la presse comme elle le fait avec ses cibles communautaristes habituelles. Son Premier pouvoir hésite trop à aborder les questions qui fâchent, traitant les postures de la presse écrite plutôt que la qualité de ses contenus. C’est un salon parisien où la pertinence des journaux régionaux est ignorée. Field a fait de même, il y a quelques années sur Europe 1, dans un hebdomadaire dominical complaisant, plus politique que journalistique et polémique, vite oublié. Lire aussi dans Acrimed
17 - Durant l'été 2004, Le Canard Enchaîné a repris en Une les propos tenus lors d'une conversation imaginaire entre Bernadette Chirac et le chanteur Corneille. Faute de vérifications, il ne s'est pas rendu compte qu'il s'agissait d'une parodie publiée dans Le Quotidien de la Réunion. La semaine suivante, les lecteurs du-dit journal d'investigation ont eu droit à un service autocritique minimum sous la forme d’une brève, un « Pan sur le bec! » situé en bas de dernière page. Une pirouette autopromotionnelle (et dépourvue d'excuses) qui a permis une fois de plus à l'hebdomadaire de diluer un impair dans de l'humour : pour avoir pris «des Bernies pour des lanternes», il condamne son «journaliste fautif» (et anonyme) à offrir une tournée générale de rhum «pour mieux s'imprégner de l'humour réunionnais». Coin coin... Le Canard Enchaîné n'est pas à la hauteur de sa réputation, comme l'a montré Bévues de presse. Le silence fait autour de ce type de fautes, dont il est un multirécidiviste, est encore plus inquiétant. Le Monde est un des rares journaux à avoir couvert ce scandale journalistique en effet. Il est vrai que depuis la parution d'enquête pamphlétaire révélant une partie de la Face cachée du quotidien du soir, une intellocratie bien-pensante a statué que le quotidien du soir est le seul organe de presse écrite française qui soit critiquable. Les rédactions, moins imbibées d'exigence professionnelle que de moralisme et d'idéologie, ont en revanche réprouvé fortement les propos du patron de TF1, Patrick Le Lay, rendus publics au début du même été. « Le métier de TF1 c'est d'aider Coca Cola à vendre son produit. Nos émissions ont pour vocation de rendre disponible le cerveau du téléspectateur: c'est-à-dire de le divertir » a déclaré en substance le cadre du groupe Bouygues. Quel tollé, pour avoir reconnu que sa chaîne fait du neuromarketing! Des critiques souvent incisifs, comme Daniel Schneidermann dans sa chronique de Libération ou dans Arrêt sur images, ont pris la balle au bond. Mais ils auraient pu relever aussi que Le Canard Enchaîné ou les journaux de la presse régionale, pour prendre deux exemples, endormissent également la population française en privilégiant la politique people et l'art de vivre au détriment de la réalité sociale. Dans la presse « intelligente » ou dans les universités, la hiérarchie de l'information en PQR et dans le Canard ne fait pas l'objet du même intérêt critique que le « 13 heures » de Jean-Pierre Pernaut. Probablement parce que cela exige trop de courage et de lucidité de la part des « médiologues », dont les schémas de pensée sont moralisateurs et microcosmiques essentiellement.
16 - La presse écrite a de nouveau minimisé et même désinformé sur ses propres fautes dans l'histoire de la fausse agression du RER, au nord de Paris début juillet 2004. Un constat: le surlendemain de l’annonce du drame (12 juillet), les grands journaux nationaux n'ont pas publié le moindre reportage depuis la station Louvres, lieu où l’attaque était censée avoir débuté. Aucun recueil de témoignages, de doutes sur le terrain, à l’exception du Parisien... dans un article basé sur des sources unilatérales et sans patronyme. De leur côté, Le Figaro, Libération et Le Monde se sont contenté de reproduire les rapports de la Police, en les dopant avec les postures des hommes politiques. Il faut saluer l’exception La Croix, car ce journal est un des rares à ne pas avoir monté en épingle le fait divers. A l’instar des véritables attaques antisémites, occultées par la presse française durant les mois de leur recrudescence, l'entourage de Marie-Léonie n’a pas fait l’objet d’enquêtes journalistiques. Il a fallu attendre qu'une de ses amies prenne l'initiative de témoigner, en effet, pour avoir un des indices de sa mythomanie (dans Le Figaro du 13 juillet). Lors de ce couac médiatico-politique, les journaux qui se sont excusé comme Libération, ou ceux qui prétendent s'être autocritiqué, ont au bout du compte tout mis sur le dos des politiques. Un peu comme s’ils avaient unanimement accusé Alain Juppé d’avoir mal informé le couple Pujadas-Mazerolle de France 2, au sujet de son retrait anticipé de la vie politique. Décidemment, la presse écrite reconnaît mieux les fautes de sa profession quand elles concernent des journalistes étrangers ou des journaux télévisés. Comme le confiait Ivan Levaï à Mireille Dumas bien après, «on aurait aimé entendre les journaux reconnaître leurs erreurs et s’excuser de ne pas avoir vérifié» (France 3, Vie privée, vie publique, 6 octobre 2004).
15 - Les médias ne se sont pas attardé sur les faiblesses de La Face cachée du Monde. Ils ont laissé Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel dénoncer le maljournalisme de Pierre Péan dans les colonnes de leur journal, avec la même partialité que ce dernier. Il n'y a pas eu de débats sur les pratiques contestables de celui qui est considéré comme un des plus grands enquêteurs de la vie politique française. L'absence de procès, troquée contre une promesse d'autocensure, lui évitera de s'expliquer sur une opération éditoriale montée avec Philippe Cohen et Claude Durand, le patron des éditions Fayard. La guerre du Monde n'aura été qu'un feu de paille, symbole de lâcheté et de gain commercial. Le 7 juin 2004, date de l'annonce de cette transaction entre gens "biens", sur le dos d'un public crédule, est un jour noir pour la presse française. Des organisations comme Reporters sans frontières auraient dû protester contre cette atteinte auto-infligée à la liberté d'expression.
14 - La revue Médias est reparue en juin 2004, fade et complaisante comme sa première version d'il y a deux ans. Dans un même registre, l'essai Du journalisme en démocratie de Géraldine Muhlmann a été présenté comme une critique majeure de la presse dans Le Monde comme dans Libération. Ces éloges constituent une escroquerie intellectuelle car il n'y a aucune analyse du contenu des journaux dans ce livre dont les mérites sont ailleurs.
13 - Bruno Frappat est intervenu dans L’Esprit public sur France Culture, avec un quatuor formé par l’animateur Philippe Meyer, Nicolas Baverez, Roland Cayrol et Max Gallo (émission du 30 mai 2004). Ses commentaires faisant référence à la presse étaient particulièrement mal venus: - Le directeur de la rédaction de La Croix a critiqué «l'arrogance et le patriotisme exacerbé de la presse américaine», trop suiviste du discours bushien au moment de l'invasion de l'Irak. Ce n’est pas faux, mais aucun des intervenants de l'émission ne lui a rappelé la parabole de la paille et de la poutre. Un journaliste de La Croix (Alain Hertoghe) a écrit un essai faisant des accusations inverses à la presse française, en effet (La guerre à outrances). Et il a été licencié par M.Frappat à cause de cela… - La Croix a publié début 2004 son dossier annuel sur la crédibilité de la presse française, sans la moindre référence à La guerre à outrances ou à Bévues de presse. Tandis qu’ici on pratique l’omerta corporatiste, de l’autre côté de l’Atlantique les journaux dénoncés pour avoir commis des fautes, du New York Times à USA Today, se sont expliqué dans leurs propres colonnes auprès de leurs lecteurs. - Bruno Frappat a également regretté que le rapport Latarjet sur le spectacle vivant, commandé par le ministère de la culture, ne fasse pas de benchmarking avec ce qui se fait ailleurs. Cette remarque ne prêterait pas à sourire (ou à pleurer) si elle ne venait pas du patron de journal qui a censuré toute référence à Bévues de presse. Cet essai critique le journalisme à la française en le comparant avec celui pratiqué dans d’autres pays, et après le drame du 21 avril 2002, L’Esprit public a relevé son intérêt pour comprendre l’incommunication dans la politique française. - Philippe Meyer et ses invités ont fustigé la politique culturelle de la France en déplorant la baisse du nombre de spectateurs et les excès du financement public. M.Frappat a alors laissé entendre que les journaux français sont mieux gérés que nos «spectacles vivants». Or, ici aussi, aucun membre du quatuor n’a rebondi sur la baisse du lectorat de nos journaux, sur le gaspillage des aides à la presse et sur le recours excessif aux intermittents du journalisme que sont les CLP (Correspondants locaux de la presse régionale). Un modèle économique qu’il faut remettre en cause dans un débat public, et pas seulement ici.
12 - L'affaire des pédophiles d'Outreau est une parabole du maljournalisme français: manque d'enquêtes évitant de succomber aux théories des réseaux et d'alimenter les rumeurs des "notables coupables", faiblesse de la PQR face aux mastodontes de la presse parisienne travaillant sur une région qu'ils ne connaissent pas, attribution des fautes journalistiques au "temps médiatique" et aux égarements de la justice. Beaucoup de journalistes n'ont toujours pas tiré les leçons de l'affaire Grégory Villemin, vingt ans après.
11 - Avant de se préoccuper de la «désinformation massive» sur l'Irak aux Etats-Unis, Télérama devrait se pencher sur les manipulations du type de celles de France 2, lors de la mort atroce de l'otage Nick Berg. Le magazine culturel reproche à la presse américaine de ne pas savoir reconnaître ses erreurs, en basant ses accusations sur des enquêtes publiées... aux Etats-Unis. Il ignore aussi trois points essentiels: l'absence d'enquêtes autocritiques de ce type en France, le cas Hertoghe et les articles américains hostiles à la guerre avant l'invasion. Les révélations sur les actes de torture et d'humiliation perpétrés par l'armée américaine, ont permis de nuancer les critiques adressées au New York Times et à ses confrères... More in English
10 - La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour avoir interdit la publication d’un livre sur un mensonge d’Etat de François Mitterrand. Dans Le Grand Secret (Plon, 1996), le Docteur Claude Gubler révélait le cancer occulté durant les deux septennats de son ex-patient. Ce témoignage, écrit avec Michel Gonod, a été victime d’une entrave à la liberté d'expression, tout en étant médiatisé et soutenu par l’éditeur Olivier Orban (contrairement au jumeau mort-né de Bévues de presse avec Le Seuil). On ne peut pas plaire à tout le monde de Marc-Olivier Fogiel est revenu sur cette affaire politico-éditoriale (France 3, 23 mai 2004)… illustrant un mensonge journalistique. Le Dr Gubler songeait à «se suicider pour emmerder» le président socialiste après avoir été évincé par lui, déclarait Georges-Marc Benamou dans l’émission. Mais les souvenirs de l’ancien directeur de L’Evénement du jeudi étaient démentis par l’intéressé, en direct sur le plateau. Peut-on continuer de prendre au sérieux des journalistes qui, à de multiples occasions, se sont moqué des faits? Pourquoi les manques de scrupule d'un Benamou ne sont pas dénoncés comme ceux de Mitterrand?
9 - Le guide Michelin est fortement contesté à cause d'un livre très médiatisé, L’inspecteur se met à table. Son auteur dénonce en particulier les sous-effectifs pour bien connaître les restaurants. Pourquoi la presse ne balaye pas sur son terrain aussi, en parlant de ses propres faiblesses dans la collecte de l'information?
8 - Les problèmes de Diego Maradona (avec sa santé) sont l’actualité argentine la mieux couverte par la presse française. Les ennuis du conseiller de Matignon Dominique Ambiel (avec la prostituée roumaine) sont le seul événement politique français ayant intéressé les journaux argentins sur une ou deux semaines. Pourquoi la couverture médiatique de l'Argentine en France, et vice-versa, tient plus du tabloïd que du reflet de la réalité sociopolitique?
7 - La liaison entre le ministre Jean-Louis Borloo et Béatrice Schonberg, la présentatrice de journal télévisé de France 2, provoque beaucoup d’émois. Ce n’est pas répréhensible en soi, mais Guy Birenbaum a eu raison d’en discuter dans son essai Nos délits d'initiés. Pour avoir fait cette révélation, il a été outrageusement décrié par des journalistes bien pensant comme Christophe Barbier dans L’Express. Une autre liaison, professionnelle, présente plus de problèmes cependant. L’appel de Bernadette Chirac à la productrice Anne Barrère pour être sa consultante en communication mérite d’être ausculté davantage par les journaux. La productrice de TF1 est également l’épouse Robert Namias, directeur de l'information de la plus grande chaîne française, en effet. Les interférences sur la vie politique peuvent avoir des conséquences plus profondes que le lien d’un super-ministre avec la responsable des journaux du week-end d’une chaîne moins regardée.
6 - Le Prix Pulitzer 2004, section "reportage d’investigation", a été décerné à The Blade, un journal de l'Ohio, grâce á son enquête d’octobre 2003 dénonçant des atrocités commises au Vietnam en 1967. Ses trois reporters primés ont effectué une centaine d’entretiens pendant huit mois de recherches au sujet de la "Tiger Force", l’unité de combat de l’armée américaine accusée. Le quotidien de Toledo a ainsi montré que les grandes enquêtes ne sont pas le seul apanage des "grands" titres aux Etats-Unis. L’essai Black List, médiocre mais très médiatisé en France, fustige l’(auto)-censure de la presse outre-Atlantique. Or beaucoup de journaux américains investissent encore dans le reportage d’investigation comme ne l’ont jamais fait leurs pairs français. Les travaux menés par The Blade n’ont pas d’équivalent dans nos grands quotidiens régionaux ou même dans les parisiens, concernant l’Algérie par exemple. Cette réalité devrait plus préoccuper les médias français que les cas de censure maladroitement dénichés dans le pays du «First amendment».
5 - Les flèches contre Elodie Gossuin, élue au conseil régional de Picardie, soulèvent la question de la réactivité à double vitesse des médias. Sa participation à La Ferme de TF1 est moins répréhensible, en effet, que son intégration à une liste du ministre Gilles de Robien sur le critère de sa «célébrité». La presse rendrait davantage service à la démocratie si elle dénonçait sur le champ le choix de futurs élus grâce à leur médiatisation. Attendre l’apparition de l’ex-Miss France dans une émission de télé-réalité pour s’en offusquer, c’est moins honorable que politiquement correct.
4 - Les médias français ont fait des actes de contrition en souvenir du génocide rwandais dix ans après… sur le dos de l’armée ou du gouvernement. Rien ou presque au sujet des journalistes suspectés d'avoir minimisé les massacres de Tutsis par des Hutus. Les graves accusations du chercheur Jean-Paul Gouteux contre Le Monde, par exemple, ne font toujours pas l'objet de débats publics. Dans L’inavouable, Patrick de Saint-Exupéry revient sur certains mécanismes qui ont conduit la France à soutenir les génocidaires. Mais ce récit très médiatisé, lyrique plus que journalistique, et déguisé en lettre indignée contre Dominique de Villepin, suit la même logique corporatiste. Le «grand reporter» du Figaro s’en prend aux politiciens, aux militaires français, voire même à la RTLM (Radio télévision libre des Mille collines). Il fustige ceux qui ont masqué ou encouragé les exterminations de 1994. Mais il ne revient pas sur le travail des médias français avec des exemples précis. Juste de vagues allusions à la mystification qui consista à transformer les bourreaux en victimes d’une crise humanitaire, au moment de leur fuite sur Goma. A l’insu du plein gré des reporters. Les souvenirs de Patrick de Saint-Exupéry ne sont pas inavouables pour sa corporation. Ils oublient une pièce essentielle du puzzle de la dénonciation et des regrets: l’impact de la presse et des envoyés spéciaux dans ce type de conflit. Le rédacteur du Figaro n’est pas le seul à regarder sa profession avec un rétroviseur sélectif, malheureusement. Faudra-t-il attendre dix années supplémentaires pour savoir pourquoi des rédactions n’ont pas réagi face aux liaisons honteuses des gouvernements de François Mitterrand avec les criminels hutus ?
3 - Le journal télévisé de David Pujadas a fait une énorme bévue mardi 3 février 2004, au début du «20 heures» de France 2, en annonçant le retrait d’Alain Juppé de la vie politique. Cette affaire a provoqué la démission du directeur de l’information Olivier Mazerolle, et son remplacement par Arlette Chabot. Sous cette nouvelle férule, la chaîne publique continue de commettre des fautes plus gênantes et ignorées... comme le mensonge de La Croix dans son dernier compte-rendu du «baromètre annuel» sur la crédibilité des médias français.
2 - La sur-médiatisation de Nicolas Sarkozy rappelle celle de Jean-Marie Messier, l’ex-patron de Vivendi. En résumé, Sarko & les médias en 2002-2004 correspond à J2M & "the media" en 1999-2001: moutonnisme et quasi-zéro investigation, accompagnés de quelques critiques acerbes pour faire illusion. Si jamais Sarko-2004 devient du J2M-2002, les mêmes qui l'auront sur-médiatisé complaisamment nous feront le coup d'Erik Izraelewicz chez Philippe Meyer sur France Culture(*). Commentant les ennuis de santé du capitalisme, le journaliste économique des Echos expliquait doctement que J2M a fauté parce qu'il était «un illuminé». Erik Izraelewicz n'a pourtant pas dénoncé les «visions» de Jean-Marie Messier dans son essai «Le capitalisme zinzin», publié fin 1999. La presse est co-responsable des catastrophes qui seront (peut-être) reprochées un jour à Nicolas Sarkozy, à la hauteur du bénéfice qu'elle aura tiré de l'engouement qu'il suscite façon "presse people". Il aura fallu attendre sa nomination a Bercy pour que certaines bavures policieres, liees a sa sur-activite en tant que Ministre de l'Interieur, soient denoncees... Si les journaux sérieux profitent d’un phénomène médiatique tout en le dopant, ne doivent-ils pas aussi en payer les conséquences négatives? Ou du moins s'en expliquer, en revenant sur leurs propres productions? (*) Emission L'esprit public du 18 janvier 2004.
1 - La Dépêche du Midi a-t-elle eu raison de révéler la menace terroris(an)te d’AZF-Sncf ? Peut-elle se draper derrière le "devoir d'informer"? Difficile de trancher, mais le problème est surtout ailleurs. Le journal toulousain fait peu de révélations pertinentes et crédibles sur l’actualité de sa région, en effet. Ses fautes dans l'affaire Alègre ou ses dénonciations des dangers industriels (après l'explosion d'AZF-Total) posent la question de son manque de rigueur ou d'investigation. Pourquoi, par exemple, La Dépêche a-t-elle publié les contrevérités qui lui sont si facilement reprochées par le cabinet de Nicolas Sarkozy? Au lieu d’enquêter sur la qualité de ses méthodes journalistiques, la presse parisienne tance le journal de la famille Baylet à travers des considérations moralo-policières. Cela évite les questions qui fâchent, celles que Bévues de presse est le seul essai à avoir soulevées jusqu'à présent. |
La dernière mise à jour de ce site date du 04-05-2005