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Essai pour un vrai débat

sur le maljournalisme                          L'Événement (du jeudi), 15 juillet 1999 :

Titre publié : 50000 juifs menacés de mort en Iran

Titre proposé : Les Juifs iraniens sur la sellette?

 

La possible condamnation à mort de 13 Juifs iraniens accusés d'espionnage rappelle que les israélites résidant encore en Iran vivent dans la crainte d'être accusés de connivence avec l'état hébreu. Malgré son hostilité affichée à l'égard d'Israël, l'état chiite prétend cependant faire la distinction entre antisionisme et antisémitisme.

 

On se croirait plus dans une cour de récréation ou dans une assemblée entre amis. La synagogue Rabbizade, au centre de Chiraz, cinquième ville perse, donne sur un patio ou jouent une trentaine d'enfants et adolescents sous le regard de quelques adultes. A l'entrée de la grande salle vitrée réservée à la prière, les hommes mettent une des kippas entassées dans une vieille corbeille en plastique, tandis que les femmes gardent leurs foulards islamiques. Dans leurs mains, un livre de prière en hébreu, lu en silence et sans la présence de religieux. "Notre dernier Rabbin est parti pour Los Angeles il y a cinq ans, comme la moitié de ma famille, qui vit Chicago et Baltimore," confesse un ouvrier métallurgique d'une trentaine d'années, dans un anglais approximatif, sans donner son nom. "Nous, nous sommes restes en Iran parce que c'est notre pays depuis 2500 ans", explique Farid Moalim, 24 ans, prospère gérant d'une boutique de fringues dans l'avoisinante avenue commerciale Karim Khan-Zand.

Dans le couloir, a l'entrée, on distingue la photo d'un Ayatollah s'adressant au public réuni dans la Rabbizade. "Il a insiste sur la nécessaire convivialité entre Juifs et Musulmans iraniens" raconte laconiquement un viel homme, en français. Cette réunion a eu lieu en février dernier, a l'occasion des commémorations du vingtième anniversaire de l'arrivée de l'Ayatollah Ruhollah Khomeini au pouvoir. Aucun commentaire sur les 13 Juifs dont on vient d'annoncer l'arrestation pour espionnage en faveur d'Israël et des États-Unis, en début d'année. Professeur d'hébreu, rabbin, boucher kasher ou vendeur de chaussures, ces personnes sont d'après le Ministre iranien des affaires étrangères, Kamal Kharrazi, accusées d'avoir passe des informations d'ordre militaire a des étrangers, avec d'autres Iraniens musulmans. Elles seront jugées à Shiraz même, a 900 kilomètres au sud de Téhéran, par un Tribunal révolutionnaire, une juridiction d'exception créée au lendemain de la révolution islamique pour juger toute affaire touchant la sécurité nationale. La conversation avec le vieux francophone est de toute façon interrompue par un garde-chiourme, qui exige une permission écrite des autorités locales pour converser avec les membres de la congrégation.

Shiraz et son million d'habitants, est la plus juive des villes iraniennes, avec ses 14 synagogues et ses 7000 membres, sur 27000 au total, d'après les estimations les plus courantes. "Nous ne sommes plus que 2000 Isfahan, contre environ 10000 il y a 20 ans" regrette Pari Alian, 23 ans. Cette secrétaire médicale dont les parents animent la Kenissa Katar David, principale synagogue d'Isfahan, nous montre cependant que la communauté reste active. Sur un mur, le programme de la synagogue pour les prochains mois, imprimé en farsi, ainsi que dans les langues de deux pays ennemis, l'anglais et l'hébreu. Avant la révolution, les Juifs iraniens étaient plus de 100000, et comptaient parmi l'élite de l'économie, dans le pétrole, la banque et les Bazars notamment. Selon un habitue de la synagogue Yousef Abad de Téhéran, également mal a l'aise avec les étrangers, il y a encore 50000 Juifs en Iran, ce qui est peu par rapport aux 70 millions d'Iraniens, mais elle reste la communauté juive de loin la plus importante au Moyen Orient, en dehors d'Israël.

Le régime chiite, ennemi déclare de l'État hébreu, laisse les Juifs iraniens pratiquer leur religion ouvertement, a l'instar d'autres membres de minorités comme les Arméniens, qu'ils soient catholiques ou orthodoxes. "Nous avons pu conserver nos églises, mais comme les Juifs avec Israël, on nous a accuse d'être trop proches du Shah" témoigne une vieille Arménienne dans un excellent français. Les Juifs que nous avons pu interroger refusent de juger le régime, mais admettent ne pas pouvoir communiquer avec leurs parents émigrés en Israël. Certains accusent même des "groupes Hezbollahs" d'avoir attaque à coups de pierres des commerces contrôlés par des Juifs.

Plus violemment, en janvier 1997, Hedayatollah Zendehdel, un homme d'affaires juif converti a l'Islam, aurait été pendu après avoir été condamne, lui aussi, pour espionnage et malversation durant la guerre Iran-Irak de 1980-88. La richesse de Zendehdel et son appartenance a la communauté juive ont, d'après une note du Département d'État américain, causé sa perte. En juin 1998, un Juif âgé de 60 ans aurait été exécuté pour avoir aide d'autres membres de sa minorité religieuse a fuir l'Iran, sans que les autorités se soient explique. Au total, une quinzaine de Juifs auraient été exécutés, en 20 ans, par le régime chiite. Car malgré la distinction entre "Juifs" et "Sionistes," les Juifs restent soupçonnés d'entretenir des contacts avec "l'État sioniste et l'impérialisme américain", deux activités punies par la peine de mort, suivant le nouveau Code pénal de 1996.

Dans la vie courante, les discriminations sont plutôt symboliques. Il y a certes des hôpitaux, des restaurants ou des cimetières contrôlés par la communauté, et un des 270 sièges de députés est obligatoirement réservé à un membre de cette minorité. Mais dans les écoles de confession juive, l'enseignement de la Bible est en farsi, et le sabbath n'est pas un jour férié. A l'instar du collège Ettehad, a Téhéran, elles accueillent d'ailleurs de plus en plus des élevés musulmans depuis quelques années pour des raisons démographiques. Les Juifs qui demandent un passeport pour voyager à l'étranger doivent s'adresser à une administration spéciale, et les garçons qui font le service militaire n'ont pas la possibilité d'exercer dans la Sepah, l'arme chargée de la sécurité politique.

Un expatrie résidant à Téhéran qualifie le discours des autorités a l'égard des Juifs comme "baratin de réserve d'Indiens". Mais difficile, même en prive, de faire parler un membre de la communauté juive iranienne sur les discriminations qu'il peut subir. "Je n'ai pratiquement jamais souffert d'être juif, à l'exception de deux ou trois commentaires désagréables entendus à la fac" indique un étudiant en psychologie de 25 ans. Il s'appelle Hertzl Saedian, du nom du précurseur du sionisme, et son arrière grand-père fut grand Rabbin d'Iran dans les années 30. Avec Elias, son père, Hertzl gère un magasin d'antiquités a Pasdaran, un quartier bourgeois du nord-est de Téhéran. "Les Juifs iraniens sont ni des séfarades, ni des Ashkénazes, ce sont des Perses", affirme Elias dans un anglais approximatif. A sa main, une bague avec un portrait de Darius, lequel avec un autre roi de l'antiquité perse, Cyrus, et la reine judéo-perse Esther, symbolise la libération du peuple hébreu de Babylone, et l'intégration, ensuite, il y a plus de 2500 ans, dans la civilisation perse.

Ce paradoxe d'être juif dans un pays ouvertement anti-isralien se résume dans l'aspect extérieur de la synagogue de Yousef Abad. Ce bâtiment d'un quartier résidentiel du centre de Téhéran, semble loger une administration, avec son drapeau iranien, et la présence de deux jeunes militaires armes. "Ils sont la plus pour nous protéger contre les jets de pierres, que pour nous surveiller" raconte un adolescent rencontre un vendredi soir, a la fin d'une cérémonie marquant le début du Shabbat. "Si dans la communauté il y a des candidats a l'immigration, c'est plus pour des raisons démographiques que politiques. Ils ne trouvent plus avec qui se marier", ajoute un homme d'âge mur, qui dit s'appeler Moise. Aucun commentaire sur l'arrestation, quelques jours plus tôt, de ses 13 concitoyens.

Jean-Pierre Tailleur

 

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