"Bévue de titre" sur l'Iran

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Essai pour un vrai débat

sur le maljournalisme

 

Anti-israéliens, les médias français? Ou trop prompts habiller la réalité par compassion pour les victimes du moment? Ceux qui, à juste titre, se plaignent de la partialité de beaucoup de journalistes au profit de la cause palestinienne, peuvent méditer aussi sur un cas de désinformation passé inaperçu. Il est survenu il y a trois ans, avec un reportage sur les juifs d’Iran que j’ai publié dans L'Événement.

L'hebdomadaire (qui venait d’enlever son suffixe du jeudi) a respecté mon texte, destiné à éclairer une actualité brûlante. Peu avant ce 15 juillet 1999, on avait appris l'arrestation de 13 membres de cette communauté d’environ 25000 âmes, et peut-être même 50000 selon des estimations moins sûres. Une enquête à Téhéran, Ispahan et Chiraz, avant l’annonce de ces arrestations, m’avait conduit à un constat: on peut pratiquer le judaïsme dans le pays des Ayatollahs, du moment que l’on n’affiche pas de liens avec Israël. Pendant trois semaines, des juifs (une douzaine) et d’autres Iraniens (encore plus nombreux) m’avaient confié qu’il n’y a pas de persécutions antisémites chez eux. Le magazine alors dirigé par Georges-Marc Benamou a pourtant titré l'article «50000 juifs menacés de mort», sans concertation et sans point d’interrogation. Il avait généralisé à partir de ces 13 inculpations restées isolées, obscures, et sans peines capitales (en partie grâce à une campagne de soutien internationale).

Avant ce séjour perse, je croyais, moi aussi, en ces persécutions. Quelques années plus tôt j’avais été affecté par les attentats antisémites de Buenos Aires, ma ville de naissance, attribués aux chiites par certains procureurs argentins (115 morts, en 1992 et 1994). Mais la soirée passée chez une famille rencontrée a la sortie d'une des synagogues de Téhéran, ce mois de mars 1999, avec dîner kasher et port de la kippa, m’avait aidé à relativiser mes préjugés. . .

Cette mésaventure des «50000 condamnés à mort» n’est pas qu’anecdotique. Elle illustre le maljournalisme que je dénonce dans «Bévues de presse», et qui accoutume à la simplification. Cette infirmité journalistique consiste à négliger les observations d’une enquête, et à ne pas savoir reconnaître les réalités grises de certaines situations, ni idylliques ni apocalyptiques.

La faute du magazine était d’autant plus grave, que la plupart des lecteurs se contentent de lire les titres. D’autre part, les trois juifs iraniens dont je citais les noms ont été mis en risque, vivant sous un régime dont je rappelais aussi la dureté. CQFD pour les titreurs de l’hebdomadaire! Cela m’a également dissuadé de refaire un voyage en Iran les mois qui ont suivi.

Le dopage d’informations est suicidaire pour un journal «sérieux», car il ne peut pas fidéliser ainsi ses lecteurs. Pensant combattre les intégristes religieux, la direction de L'Événement s’est comportée comme eux. Ou comme ceux qui assimilent Jénine 2002 et Varsovie 1942.

Jean-Pierre Tailleur               Lire l'article de L'Evénement

 

© Mensuel Information juive (Paris, juillet-août 2002).

 

NB : Il faut saluer Victor Malka, rédacteur en chef de ce journal du Consistoire juif de France, qui a commandé cet article.

 

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