Pseudautocritique des médias

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Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme

 

La crise de la presse quotidienne est couverte par les journaux, mais une des principales causes de ce marasme est occultée

 

Les journaux français ont démarré leur automne 2004 par une campagne médiatique sur les difficultés de la presse quotidienne. Ces articles et dossiers s’expliquaient par une actualité brûlante - la crise ouverte qui affecte plusieurs de leurs confrères - ainsi que par le moutonnisme des rédactions dans le choix des sujets. La médiocrité de ces papiers, basés sur les mêmes sources complaisantes et corporatistes, a au bout du compte permis d’illustrer en creux une question occultée : le manque de valeur ajoutée informative des contenus est un des moteurs de cette crise, aussi.

Le Monde a notamment publié plusieurs contrevérités grossières au sujet de Libération et du Parisien/ Aujourd’hui, vite relevées et corrigées par les intéressés. Mais ces derniers se sont gardé de s’interroger sur d’autres incongruités et sur des silences qui les arrangent. Peut-on croire Libération quand, en réponse au Monde, il affirme être lu à raison de six lecteurs par exemplaire ? Le même journal est plus prompt à remettre en cause les sondages politiques que les études d’audience faussement scientifiques…

De L’Humanité au Monde et de La Croix à Marianne, on a également désinformé les lecteurs en insinuant que la qualité des contenus ne peut absolument pas constituer un élément explicatif de la-dite crise. Aucun organe de presse n’a dénoncé ce  mensonge par omission, car seuls des coupables intangibles ou externes aux rédactions seraient responsables de la baisse des ventes. L’éditeur Guy Birenbaum, chroniqueur du Grand journal de Canal Plus a ironisé sur tous ces journaux qui se sont jeté sur le thème de la presse en crise (1er octobre 2004). Mais sa causticité ayant des limites, il n’a pas pointé les trous noirs de ces dossiers.

Les journalistes qui écrivent sur leur secteur mélangent allègrement causes et symptômes : haro sur les autres médias (la télévision, Internet), sur les financiers (la sous-capitalisation), sur la diffusion et le prix d’achat des journaux ! Sans oublier la faute à l’Etat qui ne subventionne pas assez, discours de mendicité particulièrement repris par L’Humanité, ou bien la rengaine sur les ouvriers du Livre qui augmentent les coûts de fabrication des journaux français. Tout cela n’est pas entièrement faux, mais à petite vue.

La sociologie – le « changement des modes de vie » - permet d’avancer d’autres causes de la baisse des ventes des journaux. Mais elles deviennent grotesques, parfois : par exemple, « les Français passent aujourd'hui plus de temps dans leur voiture, s'informant ainsi plutôt par la radio » explique Le Monde. Car c’est bien connu, dans les démocraties occidentales où les journaux se portent mieux ou moins mal qu’en France, on circule moins sur les routes…

Autres inculpés, les journaux gratuits que Bruno Frappat qualifie de « concurrents déloyaux ». C’est le dada du dirigeant de La Croix qui, au moment de leurs lancements en 2002, les avait dépeint comme forcement mauvais avant même de les avoir lu. Il est vrai que son journal est un habitué des pseudenquêtes sur la presse française, avec ses articles sur la crédibilité des journaux publiés tous les débuts d’année.

Le dossier sur « La presse quotidienne dans une mauvaise passe » paru dans La Croix du 21 septembre 2004 ne fait pas exception, abondant en perles de maljournalisme. Le quotidien catholique est particulièrement de mauvaise foi dans une « enquête dans les sous-sols parisiens » au sujet des journaux gratuits justement. Cet article, mécaniquement dénigrant, est de surcroît très mauvais car uniquement basé sur des sources anonymes et des « on-dit ». La reporter de La Croix a « entendu dire » que 20 minutes et Métro sont mal écrits, prouvant par la même occasion que cela peut aussi être le cas d’un journal payant (ses rédacteurs en chef ne pouvaient-ils pas exiger plus de ce reportage sous-terrain ?). Faute de travail d’enquête – et de pouvoir aborder les sujets qui fâchent – ce papier se garde de noter la différence entre les deux journaux gratuits parisiens par exemple (20 minutes est de meilleure qualité), ou bien leur supériorité par rapport à certains payants de province.

Dans le reste de ce dossier, La Croix s’appuie sur les propos banals de quelques médiologues, à l’instar de ses confrères. L’omniprésent Jean-Marie Charon est longuement cité dans un article consacré à la crise en presse quotidienne régionale. Il s’agit de statistiques de diffusion essentiellement, dramatiques mais a-polémiques, exposées par le sociologue lors d’un colloque. Or les trois journalistes signataires de ce papier auraient pu retenir d’autres commentaires explicatifs, entendus lors du même colloque organisé par le Club de la presse de Lyon. Notamment ceux de Jean-Michel Daclin, adjoint au Maire de la ville. « Ce n’est pas en changeant de format, en rajoutant de la quadrichromie partout, que tout va se résoudre » a lancé l’ancien journaliste. « Il faut d’abord se poser une question fondamentale : est-ce qu’on peut vivre en France aujourd’hui sans lire tous les jours un quotidien régional ? Je crains que oui. »

Autre élément d’explication occulté par le journal catholique, celui avancé par un représentant de la presse espagnole. « Je ne veux pas parler chiffres, je pense que ce n’est pas la question » a précisé Aleix Renye du quotidien catalan El Punt. « Honnêtement, en lisant certains journaux de la presse régionale française, cela me rappelle ceux auxquels on était habitué durant la dictature [de Franco]. On publie les communiqués tel quel, on ne contraste pas les informations ». Un point de vue trans-pyrénéen développé dans Bévues de presse… et déjà censuré par La Croix.

Faute d’état des lieux sur les causes du marasme dans leur secteur, beaucoup de quotidiens croient pouvoir s’en sortir en se lançant dans des diversifications horizontales. Des suppléments de fin de semaine aux télévisions locales, ces projets ne sont pas nécessairement hasardeux. Mais ils résultent plus d’une fuite en avant que d’une stratégie cohérente. Faute d’aborder un élément clé de leur métier - la qualité des reportages dans leurs zones de chalandise – on n’investit pas dans l’élaboration de bons articles et dans le renouvellement des rédactions.

 

 

La revue Médias est reparue en juin 2004, après un premier échec en 2002. Le texte qui suit est une critique qui répond ou complète les remarques positives à son sujet, publiées dans le site legraindesable.com

 

Ce magazine sur les médias m'a médusé, rien qu'en le feuilletant. Dans le ton, ce n'est qu'un remake de la première mouture lancée il y a deux ans par une autre équipe. Certains articles sont intéressants, mais je ne vois pas comment on peut prétendre décrypter les médias sans faire la critique des contenus. On peut également faire les constats suivants:

--Il y a trop d'interviews. Un mode mineur du journalisme, qui est à l'enquête ce qu'une grenade est à une bombe...

--L'article sur les altermondialistes, bien documenté, fait un peu exception. C'est une enquête qui souligne la collusion répréhensible d'un Ignacio Ramonet avec un Fidel Castro, par exemple, mais elle est co-écrite par Robert Ménard, le président de Reporters sans frontières. RSF co-édite Médias et mène par ailleurs un combat extra-journalistique contre les Bourdieu-Ramonet-Halimi. La même agressivité avec des journaux qui font du mauvais journalisme aurait rendu cette attaque anti-alters plus crédible.

--Un casting très people dans le choix des sujets, de Jean Lacouture à Michel Rocard et d'Yves Simon à Miguel Benasayag et Marcel Gauchet. Leurs propos sont souvent pertinents, mais pas plus que ce qui est publié dans les grands journaux généralistes. Comme son prédécesseur homonyme de 2002, Médias ne donne pas la parole aux critiques sans concessions de la presse.

--Redondance avec les articles sur deux Premiers ministres successifs de François Mitterrand (Edith Cresson et Michel Rocard) et avec la répétition des attaques contre les "bourdieusiens" (celles du philosophe Marcel Gauchet notamment). Cela traduit un manque d'imagination pour trouver des sujets.

--Rien sur les conditions de travail des journalistes.

--Médias ne remplit pas un "acid test": une revue spécialisée dans le journalisme français doit porter un regard sur la presse régionale, qui concerne 80% des Français. Couvrir un sujet depuis Sirius pour 7 euros, c'est se moquer des lecteurs.

--Retour sur l'échec du magazine L'Européen, lancé en 1998 par Le Monde, avec des détails étonnants sur le manque de moyens pour faire du bon travail. L'article est intéressant, mais il manque des précisions sur les promoteurs de ce projet également impliqués dans Médias... Le papier occulte également les constats au sujet de L'Européen exposés dans Bévues de presse, ainsi que les papiers dithyrambiques sur ce projet, à une époque où il n'était pas bien de critiquer Le Monde.

--Le portrait de Brunot Frappat est consternant de flagornerie, de tonalité ceausescuienne. De plus, le patron de La Croix vient de licencier un collaborateur pour avoir critiqué dans un livre les médias français face à la guerre d'Irak. Mais la revue contrôlée par Reporters sans frontières ne le rappelle pas et ne s'en indigne pas. Il y a double faute, professionnelle en tant que journaliste et morale en tant qu'ONG sensée défendre la liberté d'informer.

Pour conclure, sans nier l'intérêt d'une partie de son contenu, Médias me semble bien fade, et contient beaucoup de mensonges par omission. Ce magazine est à la réalité du journalisme ce que Jours de France de Marcel Dassault était à la société française... Demander sept euros pour des informations dont la richesse est inférieure à celle d'un site accessible gratuitement comme Acrimed, c'est trop cher et cela frôle l'escroquerie. La critique des médias doit aujourd'hui dépasser l'alternative entre le journalisme invertébré de cette revue et l'angle juste et documenté mais parfois trop politique de ces derniers.

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La présentation de l'Observatoire français des médias par Ignacio Ramonet, publiée dans Le Monde diplomatique sous le titre «Le cinquième pouvoir», est éloquente. Elle illustre la réticence toute française à critiquer factuellement la presse, tout en prétendant le contraire et en donnant des leçons au monde entier. Par chance, les contributions de l'OFM se sont montrées plus courageuses et pertinentes, depuis.

Certains journalistes parisiens se moquent de la presse américaine, accusée d’avoir été trop lente à réagir face à des scandales comme celui d'Enron, par exemple. Mais l’enquête publiée dans la Columbia journalism review (mars-avril 2002) montre que la réalité n'est pas aussi simple (et simpliste). Outre-Atlantique, il y a également eu des reporters qui ont travaillé correctement, doutant sans être à la traîne des analystes financiers. Il est intéressant de comparer cet article du bimestriel américain avec celui de Libération (voir plus bas également) sur les médias et Vivendi. Le CJR est précis, n'hésitant pas à citer en détail ses confrères trop complaisants avec Enron, tandis que Libération ne mentionne que des confrères étrangers...

La presse française a encore beaucoup de leçons de reportage et de courage à apprendre de l’américaine en matière d’autocritique, en effet. Début 2004, un autre journal de référence américain, The New York Review of Books, a publié un article de 8000 mots (c'est a dire l'équivalent d'une dizaine de pages de magazine!!!) au sujet de la couverture de la guerre d'Irak trop dans la ligne du Pentagone aux Etats-Unis (26 février 2004). Le journaliste Michael Massing y remet sérieusement en cause une consoeur du New York Times, Judith Miller, notamment. De ce côté-ci de l’Atlantique, Alain Hertoghe a fait un travail inversement comparable au sujet de la désinformation dans la presse française, par antiaméricanisme aveugle. Mais en France, ce type de dénonciation basée sur des faits est occultée par la presse, doit passer par l’édition, et conduit au licenciement de sa rédaction.

 

 

 

 

Enron   Uncovering the Uncovered Story

[Extrait de www.cjr.org/year/02/2/sherman.asp]

 

The man who first laid Enron bare was not a journalist. In October 2000, a hedge-fund manager named James Chanos began to scrutinize the company's financial statements and was astonished by what he discovered: murky references to "related party" transactions involving Enron's senior officers, and massive insider selling. Chanos attacked the documents, filling the margins with exclamation points and notations, and marking dubious footnotes with yellow Post-its. In November 2000, he shorted the stock, and the result, when the price plunged, was a windfall for himself and his clients. In February 2001, Chanos tipped off a reporter at Fortune, Bethany McLean, who in March, published a story entitled "Is Enron Overpriced?" That story was a link in a chain of events that eventually destroyed the company and ignited one of the most explosive corporate scandals in U.S. history. (...)

In recent months, journalists have undertaken a ferocious assault on Enron. Two seasoned reporters from The Wall Street Journal, Rebecca Smith and John Emshwiller, led the pack. In a devastating fusillade of articles in mid-October, they forced Enron's clandestine "partnerships" out into the open, as Enron's stock price tumbled. The Journal followed up with a massive barrage of detailed, critical reporting, some of which contained bold assertions about energy policy and deregulation. On November 30, Smith, one of the country's leading energy reporters, wrote a page one story, shock waves: enron's swoon leaves a grand experiment in a State of disarray. "It was one of the great fantasies of American business," Smith's article began. "A deregulated market that would send cheaper and more reliable supplies of electricity coursing into homes and offices across the nation." (...)

On August 19, 2001, in response to Skilling's resignation and a concurrent fall in the stock price, the Houston Chronicle business columnist Jim Barlow announced: "It's still a company with innovative people who have shown they can turn ideas into profitable businesses. That's why the current problems will blow over."

To excavate back issues of magazines like Forbes, Fortune, Worth, Business 2.0, and Red Herring is to enter a parallel universe of cheerleading and obsequiousness, a universe where applause obliterated skepticism. In April 2000, Fortune, for instance, published a long tribute to Enron. The gaudy, sycophantic lead deserves to be reproduced in full, for it is a cautionary specimen of credulous, fin de siècle financial journalism:

Imagine a country-club dinner dance, with a bunch of old fogies and their wives shuffling around halfheartedly to the not-so-stirring sounds of Guy Lombardo and his All-Tuxedo Orchestra. Suddenly young Elvis comes crashing through the skylight, complete with gold-lamé suit, shiny guitar, and gyrating hips. Half the waltzers faint; most of the others get angry or pouty. And a very few decide they like what they hear, tap their feet . . . start grabbing new partners, and suddenly are rocking to a very different tune. In the staid world of regulated utilities and energy companies, Enron Corp. is that gate-crashing Elvis. Once a medium-sized player in the stupefyingly soporific gas-pipeline business, Enron in the past decade has become far and away the most vigorous agent of change in its industry.

(...) For six years in a row, industry insiders voted Enron "Most Innovative" among Fortune's "Most Admired Companies" -- a list that purports to be "the definitive report card on corporate reputations." (In February 2001, Enron ranked second in "quality of management" as well.) In January 2000, Business Week showcased Kenneth Lay as one of the "25 Top Managers" of 2000. (...)

The print media coverage of Enron's top executives was pure hagiography. According to Fortune, Kenneth Lay was a "revolutionary," while Worth, explaining Lay's "personal strengths," quoted an analyst saying he possessed "the best combination of vision and execution of anyone." Jeffrey Skilling, in Fortune's sonorous pronouncement, was "the most intellectually brilliant executive in the natural gas business." He was also, Fortune suggested, an unpretentious, all-American family man -- "a lively, impish character who disdains the huge, serene, high walled office he occupies atop the Enron building, forty stories above downtown Houston. 'Too quiet. Too removed,' he complains. (His kids often play Koosh ball in it and store their racquets in a corner.)"  (...)

Not every news organization bowed to the cowboy traders from Houston. By and large, Business Week's coverage of Enron in the 1990s was free of boosterism and free-market zealotry. For one thing, it didn't descend into hero worship. When Forbes (and Fortune) depicted Rebecca Mark as infallible, Business Week declined to worship. "It has been a rough few weeks for Rebecca P. Mark," the magazine reported in September 1995. "On August 3, [Mark] had her biggest deal, in India, abruptly cancelled after a state government review . . . Then, back in the U.S., on a vacation to unwind, she was tossed into a cactus while on a horseback excursion."

Even more skeptical was The Economist, which generally refused to mount the Enron bandwagon. In 1998, The Economist noted that while "Enron's famously pushy lobbyists are doing their best to force the pace" of electricity deregulation, the company's goal of turning electricity into "a price-driven commodity" is "quite a gamble." "Spend long enough around top Enron people," the magazine wrote in a searching report in June 2000, "and you feel you are in the midst of some sort of evangelical cult. In a sense you are. Mr. Lay, with his 'passion for markets,' is the cult's guru." The Economist zeroed in on Lay's hubris: "Asking him to admit even the slightest mistake is tougher than pulling teeth. This is odd, for the blunderbuss approach to innovation that is intrinsic to such an opportunistic firm as Enron is bound to produce a few failures. Given all his successes, surely failures should be proudly displayed as red badges of courage?" Concluded The Economist: "Is Enron really so flawless?"

Even those magazines that were somewhat skeptical of the company never took the time to investigate Enron's byzantine finances. One journalist who made that effort was Jonathan Weil of The Wall Street Journal. Educated at the University of Colorado and Southern Methodist University Law School, Weil got his first job at the Arkansas Democrat-Gazette in Little Rock, where he spent some two years before moving to the Journal's Texas staff in 1997 as a contributor to the weekly Texas Journal, a four-page stand-alone section that appeared inside Texas editions of the Journal. (Texas Journal was shut down, along with the other zoned editions, in late 2000.)   (...)
Weil's piece never appeared in the national edition of The Wall Street Journal; it was The Story That Got Away. Journal editors in New York never ordered a follow-up, and nearly a year would pass before Skilling's resignation inspired other Journal reporters to focus on Enron. These days, Weil, who is now the Journal's accounting reporter in New York, is rather melancholy: "I do regret not having revisited Enron," he says. "What I should have done, in retrospect, was rewrite that story for the national edition." But Weil's efforts were not in vain: On the same day his story came out in Texas, it appeared on the Dow Jones newswire, where it was seen by James Chanos, who now acknowledges Weil's Texas Journal piece as the primary catalyst for his own exhaustive research into Enron's finances. (Enron, for its part, didn't much care for Weil's piece. Several days before it appeared, Enron flew seven executives, accountants, and p.r. people to Weil's office in Dallas. After it was published, he got a laconic e-mail message from Enron's top PR man, who wrote: "As you might imagine, we had some problems with the story, principally with the lead questioning the quality of our earnings . . .")

Weil's loss was Fortune's gain. Chanos had been a source for the Fortune reporter Bethany McLean, and the short-seller, who is well known in financial circles, briefed her about Enron. "I would never have thought of looking at Enron if he hadn't tipped me off," McLean says. "There's no question about that. I'm not a beat reporter, so there's no reason I would have looked at Enron." After doing her own analysis of Enron's finances (without the benefit of Weil's piece, which she says she never saw) and conferring with skeptical analysts, Mclean, in March 2001, produced "Is Enron Overpriced?" -- a piece that bristled with questions like "How exactly does Enron make its money?" and general inquiries about the company's financial health. When she attempted to interview Skilling, he said her questions were "unethical" and hung up on her. Enron executives flew to New York to answer her questions. Later, Kenneth Lay himself called Fortune's managing editor, Rik Kirkland, and implied he should spike McLean's piece; Kirkland refused. (McLean and her editor, Joseph Nocera, along with the Fortune writer Peter Elkind, have since signed a book deal with Penguin-Putnam, reportedly for more than $1 million.) Ever so slowly, skepticism started to spread. On May 9, 2001, Peter Eavis, of TheStreet.com, tipped by another short-seller, mentioned the shady "related entities" and linked one to Andrew Fastow, Enron's former chief financial officer. (...)

Amid the wreckage of Enron, one question looms large: Should the press have tackled Enron earlier? Some journalists contend that it was virtually impossible to do so. "If a company is lying to the SEC," says Jonathan Friedland of the Journal, "and to regulators, and it's getting its accountants to sign off on its lies, and it's getting lawyers to offer opinions congruent with those lies, it's impossible to find that stuff out unless you have a whistleblower come forward." It's a compelling argument with a strong element of truth, but it overlooks the fact that reporters and analysts (like Weil and Chanos and McLean) who plunged into Enron's finances became instantly suspicious about what they found. If the U.S. press had followed up on the questions posed by The Economist in June 2000 -- and by the Texas Journal three months later -- the contours of the story could have emerged earlier. (...)
It's not enough, some journalists insist, to fine-tune reporting techniques. For them, the fall of Enron is not merely a story about a company that cooked its books and lied to its employees, but a window into larger, more systemic questions about the role of the press in making sure that important policy shifts are debated and discussed. "There's been almost no debate about deregulation," says American Prospect co-editor (and Business Week columnist) Robert Kuttner. "It's just been taken for granted in the business press, and in the editorials, and to some extent in the halls of Congress, that deregulation is just the right and the natural thing to do. It's the 'wave of the future,' and markets 'work,' and all of the ancient, well-documented reasons why there are market failures somehow have allegedly been overtaken by the New Economy. It was nonsense then and it's nonsense now."
(...)

In the end, what can the press learn from this affair? Certain things are obvious: Business reporters should ponder their reliance on Wall Street analysts, while expanding their contacts to include consumer advocates, mavericks, and independent-minded employees. The "underlying problem" for business journalists, says Business Week's Shepard, is that corporate "accounting has gotten very difficult to understand." In his view, there is a clear lesson for Business Week: "We're all going to get a lot more sophisticated about accounting," he says. "You can't take for granted the signed accountant's statement anymore. You really have to look into it a little bit more, and when there's a little bit of trouble, you really have to dig in."

(...) [There were] a handful of skeptical reporters, and one ingenious money manager, who, by employing the time-honored techniques of investigative reporting, enriched himself and his clients, and put his country's press to shame.                                                    Scott Sherman
 

 

 

Voici, en revanche, ce qu'écrivait Libération au sujet des médias après la chute de l'ancien patron de Vivendi (16 août 2002):

          

«Maître de l'univers», l'été dernier...

 

          C'était il y a tout juste un an. Jean-Marie Messier, alors patron de Vivendi, passe un été de star. L'entreprise annonce toujours des résultats satisfaisants. Célébré des deux côtés de l'Atlantique, très remarqué à la télévision (il a participé aux émissions de Michel Drucker, de Thierry Ardisson et de Michel Field), J2M aborde l'été sur les chapeaux de roue. Voici à quoi aurait pu ressembler, alors, son journal d'été.

Le 3 juillet. J'ai eu raison de demander à la photographe Bettina Rheims de me remettre la Légion d'honneur. «Je vous attendais avec des rondeurs, vous arrivez mince et bronzé», lance-t-elle. Je ne suis pas mécontent que Bernard Arnault, le PDG de LVMH, et Serge Tchuruk, celui d'Alcatel, soient là... Surtout pour écouter la suite du speech de Bettina : «Au fond, je me suis amusée à imaginer vos vies à venir, et je dis : vos vies, parce que je pense qu'il y en a plusieurs. On peut très bien vous voir dans vingt ans à la tête de cette entreprise, qui aura au passage absorbé Disney, la Fox et que sais-je encore ? [...]D'autres vous imagineront peut-être à l'Elysée. [...]. Je crois, au fond, mon cher Jean-Marie, que vous êtes, contrairement à ce que tous les journaux écrivent, un aventurier. Et, dans ma bouche, c'est évidemment un compliment, sans doute le plus beau que je puisse vous faire.»

Le 24 juillet. J'annonce des résultats supérieurs aux prévisions pour le second trimestre. Je suis d'autant plus satisfait qu'AOL Time Warner, lui, a déçu les analystes en annonçant les siens. Même Edouard Tétreau, de Crédit Lyonnais Securities (qui ne me loupera pas par la suite), considère que «c'est un parcours sans faute. Vivendi se détache de l'univers des TMT (technologies et médias) en étant l'une des seules grandes valeurs à ne pas faire de profit warning [avertissement sur les profits].»

Le 6 août. Je lis Time avec délectation. «Maître de l'univers», titre l'hebdomadaire américain, qui consacre pas moins de sept pages au «dirigeant beau parleur avec une tignasse à la Kennedy». C'est moi ! Mais je ne comprends pas bien cette comparaison avec Napoléon : «Comme le petit général, il pourrait se trouver en difficulté en livrant une bataille de trop.

Le 9 août. Je prépare le déménagement de ma famille à Manhattan, dans mon nouvel appartement de 19,9 millions d'euros sur Park Avenue. J'espère bien convaincre ainsi les investisseurs américains de la stratégie «globale» du groupe.

Le 27 août. J'annonce avec émotion le rachat de l'Olympia, le célèbre music-hall parisien. Je ne ménage pas mes effets pendant la conférence de presse. Ce «rêve pour tous les artistes français», je vais en «assurer la pérennité». Je vais aussi «contribuer à lancer de nouveaux artistes». Parce que «la musique, c'est pas seulement un business, c'est aussi de l'émotion».

Le 3 septembre. Le magazine américain Fortune me consacre huit pages et revient sur ma remise de Légion d'honneur. Ils racontent comment j'ai entonné le tube de Stevie Wonder I Just Called to Say I Love You... «Jean-Marie Messier se délecte en étant un provocateur. Il n'est pas seulement l'homme d'affaires français le plus fameux ; il est le premier PDG rock star du pays.» Mais comme je leur ai dit : «Je ne suis pas un acteur [...]. J'ai des sentiments humains et je les exprime. C'est ma manière d'être.»

 

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