Omerta sur la guerre d'Irak

en français              in English

Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme

 

Le quotidien La Croix a licencié le journaliste Alain Hertoghe suite à la parution de son essai La guerre à outrances, tentant d’expliquer «comment la presse française nous a désinformés sur l'Irak», a-t-on appris le 17 décembre 2003. Le même jour, pendant l’émission «Tam Tam, etc.» de Pascale Clark, les auditeurs de France Inter entendaient dire que la presse française est critiquée sous toutes ses coutures. Les invités David Pujadas (de France2) et Elisabeth Martichoux (de France5) imposaient une sorte d'axiome démenti par les faits. Cette dernière, connue des auditeurs d'Europe1, vient de publier un livre intitulé Les journalistes dans une très bien nommée collection "Idées reçues"...

On n'a jamais autant publié d'(auto)critiques de la presse française, cela est possible. Mais le bruit fait autour de quelques brûlots, comme «le» Péan-Cohen sur Le Monde ou Le Cauchemar médiatique de Daniel Schneidermann, cache des silences assourdissants. Il y a aussi des essais comme La guerre à outrances ou Bévues de presse – ou bien des notes publiées dans des sites Internet comme Acrimed – qui posent des questions non débattues parce que non convenues. Ils sortent du radar des journalistes invités à débattre de leur profession dans les grands médias, volontairement ou pas.

Le livre d’Alain Hertoghe revient sur la couverture du conflit irakien par cinq quotidiens français au début du printemps 2003 (Le Monde, Le Figaro, Libération, Ouest-France ainsi que La Croix). Au premier abord, le plus scandaleux de sa mésaventure n’est pas l'éviction du groupe Bayard. Vu de l'extérieur, sur fond de cuisine interne, il est encore difficile de se prononcer sur un litige entre un reporter et son employeur. Le premier peut avoir manqué de loyauté avec le second, et voulu régler des comptes personnels. Mais c'est salutaire qu'un journaliste qui critique les mauvaises pratiques de sa profession avec des faits précis, pour une fois, cite des cas tirés de sa propre rédaction.

Cela étant, La guerre à outrances est sorti deux mois avant ce licenciement et ne s'acharne pas particulièrement contre La Croix. L'essai est accablant pour le travail de deux journalistes du Monde, notamment, et cela n’a pas fait débat (*). Le pamphlet d’Alain Hertoghe est partial, pas toujours convaincant, mais bien documenté. Il oppose un contre-écho pertinent aux idées reçues selon lesquelles les journaux français ont bien mieux informé que les médias américains pendant la guerre d'Irak. Il répond à nos intellectuels et leaders d'opinion (Robert Ménard de Reporters sans frontières, par exemple) qui ont menti durant toute l’année 2003 en donnant une vision ceausescuienne de l’information aux Etats-Unis. The New York Times ou NBC News, plus représentatifs de ce journalisme que le toujours cité Fox News, n’ont pas toujours été à la botte du gouvernement Bush durant le conflit.

La guerre à outrances montre sans virulence, avec des exemples précis, certaines fautes de la presse française. Le livre est une anthologie de citations péremptoires sur une «catastrophe humanitaire en Irak», sur la «révolte des Kurdes» et «l’intervention d’Israël», sur la «rébellion des masses musulmanes». Pendant la campagne militaire, au bout de cinq jours, on nous a assenés les bourbiers, la descente aux enfers, le nouveau Vietnam des Américains. Une fois leur armée aux portes de Bagdad, on a eu droit au siège de Stalingrad, à la super-boucherie, les préjugés prenant trop souvent le dessus sur la constatation des faits. Selon Alain Hertoghe, cela s’explique par un manque de distance par rapport au couple Villepin-Chirac, par la nostalgie de la puissance française ou par l’antiaméricanisme obtus de certains rédacteurs. A cela s’ajouterait l’arabophilie malsaine de quelques journalistes qui s’en sont pris plus à George Bush qu’à Saddam Hussein.

L’ancien journaliste de La Croix a comparé les cinq journaux, aidé par un étudiant, avec The International Herald Tribune et des quotidiens anglais notamment, sans être assez disert. La presse étrangère a-t-elle couvert la guerre bien plus correctement? La guerre à outrances aurait gagné à être plus complète sur ce point. Mais le fait que les médias mis en accusation n’aient pas daigné répondre à ses constats ou à ses attaques semble donner en partie raison à son auteur. Cela met surtout en lumière les mensonges proférés innocemment dans les émissions de grande écoute au sujet d’une profession autodécrétée ouverte à la critique. Une discipline que nous pourrions pratiquer davantage en nous inspirant d'organisations comme Fair.

jptailleur@maljournalisme.com

 

(*) En France, il est plus facile de fustiger les agissements d’Edwy Plenel ou de Jean-Marie Colombani que d’attaquer le maljournalisme du commun des reporters…

 

Précédente Accueil Remonter Suivante