La Croix a plus menti que France 2 | |
Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme
L'affaire Juppé-Mazerolle, La Croix et le baromètre des médias
Le journal télévisé de David Pujadas a fait une énorme bévue mardi 3 février 2004, au début du «20 heures» de France 2, en annonçant le retrait d’Alain Juppé de la vie politique. Cette affaire a provoqué la démission du directeur de l’information de la chaîne, Olivier Mazerolle, et son remplacement par Arlette Chabot. Cela etant, elle est un arbre qui cache une forêt de fautes plus gênantes pour le journalisme français. Tout d'abord on a eu droit à la victimisation théâtralisée du condamné Juppé durant plusieurs jours, à laquelle France 2 a su ne pas céder en donnant la parole à un ex-juge accusateur. Puis il y a eu l'interview par PPDA sur TF1, trop longue et complaisante au moment même où «Puj» et sa rédaction passaient à la postérité avec leur «plantade magistrale». Le vote de défiance contre le présentateur du «JT» de France 2 et Mazerolle est probablement l’expression de rancoeurs internes, loin d’être seulement déontologiques. Si tel était le cas, on aurait également demandé le départ d'une autre journaliste de France 2, Florence Bouquillat, il y a quelques mois. Ne s'est-elle pas aussi laissé manipuler par une source, «Djamel», le travesti accusateur de Dominique Baudis dans l’affaire Alègre? Selon un adage qui devrait exister dans la corporation des journalistes, «faute clairement débattue, à moitié pardonnée», ce que nous ferons ici. Jean-Claude Allanic a honnêtement couvert le couac «Puj-Jup» samedi 6 février dans son «Hebdo du médiateur», tenant tête à Mazerolle avant sa démission. Afin de pouvoir revenir en détail sur cette affaire, Allanic a même annulé le sujet qu'il avait prévu de traiter, concernant le «baromètre annuel» du Point et de La Croix sur la crédibilité des médias. On peut noter que le compte-rendu du quotidien catholique sur ce «bilan», établi avec l'institut TNS Sofres, constitue une tromperie aussi inquiétante, au moins, que la faute de France 2. En effet, dans son édition du 5 février, La Croix (journal encensé dans une critique récente du Monde) rebondit sur le sondage pour servir ses propres intérêts et faire de la désinformation sur les médias français, encore une fois (cf. le chapitre VIII de Bévues de presse). Ainsi, concernant la guerre d'Irak, thème principal de ce dossier de trois pages, les «satisfecit» fusent, en oubliant un détail: l’essai La Guerre à outrances qui soutient, à partir d’exemples précis, qu’en France l’antiaméricanisme des journaux a souvent déformé notre vision du conflit. Cette thèse partiale mais bien argumentée, publiée fin 2003, a été établie par Alain Hertoghe, un journaliste que La Croix a licencié. Son tort est d’avoir eu le regard critique dont les auteurs du dossier annuel ont été dépourvus... Comment peut-on à la fois avoir son nom associé à l'éthique du journalisme grâce à cette mise en scène de sondage, et être un ennemi de la liberté d'expression quand elle concerne la corporation? Une lecture, même rapide, du baromètre 2004 dans La Croix permet de faire d'autres constats qui décrédibilisent le quotidien. Son dossier ne revient pas précisément sur l’affaire Alègre-Baudis, devenue pourtant emblématique dans la presse française, et il ne cite qu’un seul exemple de faute commise par des journalistes durant l'invasion de l'Irak (tiré de la BBC, à l’étranger!!!). Rien, non plus, sur les bévues journalistiques liées par la condamnation de Juppé, à France 2 comme à TF1. Elles tombaient pourtant à point nommé pour illustrer un manque de crédibilité dû à la précipitation ou à la déférence dans les journaux. En revanche, La Croix informe ses lecteurs que les quotidiens gratuits sont peu considérés. Ils ont été dénigrés par ses dirigeants dés leur naissance en 2002, pour des raisons concurrentielles. On apprend aussi que la nouvelle formule de La Croix connaît un grand succès dans les kiosques, que trop de journalistes meurent dans les conflits selon Reporters sans frontières, et qu’il y en a marre de la Star Academy à la télé... Tant de mensonges par omission sur le maljournalisme, tant d'exemples hors sujets ou convenus - de la victimisation des grands reporters à la surexposition de la télé-réalité - offrent une illustration plus qu'éloquente de l'état des médias. On entretient une illusion d'autocritique des journalistes français en jouant sur la confusion entre la qualité effective des médias et sa perception. Cette présentation des chiffres de TNS Sofres par La Croix (ou par Le Point dans une moindre mesure) aura-t-elle un impact plus négatif que l'erreur corrigée de France 2? Les (ex)-collaborateurs de Mazerolle ont-ils une déontologie à deux vitesses? Ceux qui ont victimisé Juppé à outrance ne sont-ils pas aussi coupables de fautes professionnelles? Les grands médias devraient décortiquer ces questions, également. | |