Du
silence à la censure…
Bévues de presse a été boycotté par la plupart des médias, depuis sa parution
début
2002, et a tardivement intéressé
quelques instances spécialisées. Ce
relatif silence au sujet d’un livre très documenté qui – pour une
fois – traite le maljournalisme avec empirisme et précision, traduit
un profond malaise. Tout comme la censure délibérée de certains
responsables de journaux (Marianne, La Croix…) ou de l'Agence
France Presse lors du lancement, pour citer les cas les plus flagrants
(Maljournalisme
à la
française,
essai
«auto-bibliographique»,
y revient plus en détail).
En mai 2002, La
Croix interroge longuement Jean-Pierre Tailleur pour un dossier
sur la responsabilité des médias dans la montée du lepénisme. Plusieurs
membres de cette rédaction ont trouvé le livre et les propos
pertinents, mais
l’interview passe à la trappe inopinément.
L’auteur est remplacé à la dernière minute par un universitaire
«médiologue» reconnu, Daniel Bougnoux, qui n’explique pas le rôle
de la presse dans la coupure spécifique à la France entre
pays d’en haut et d’en bas. (*)
De même, un an plus
tôt, les éditions du Seuil rompent subitement leur contrat
d’édition d’un livre qui les avait enthousiasmé, préférant perdre
l’avance versée à l’auteur. L’essai doit être publié fin 2001 sous le
titre Erreur à la Une, mais un avocat estime qu’il peut entraîner
115 procès en diffamation. Le Félin – éditeur courageux qui a pris
la relève du Seuil - n'a pourtant pas reçu la moindre plainte
depuis le lancement. Zéro lettre ou procès, ce qui n’a rien
d’anormal pour un essai balisé par des faits maintes fois vérifiés.
Bévues de presse contient sûrement des passages contestables mais,
à
de très rares exceptions près, la corporation des journalistes ne les
a pas relevés.
Quelques journaux
(Le Point, Le Monde diplomatique, Challenges, Information juive etc.)
ou journalistes (Christophe de Ponfilly) ont signalé le caractère
innovant de ce travail. Des radios publiques (France Info, France
Culture ou Radio France Internationale) ont également informé comme
il se doit. De même,
une
librairie
Fnac, l’Ecole de Journalisme de Toulouse ainsi que les
communes d’Alençon
(Normandie) et de Vouillé (Poitou) ont organisé des débats sur les
questions soulevées dans Bévues de presse (cette
dernière vient
également d'éditer un récit
analysant ce boycott
Cliquer ici). Le regard sur la presse
régionale, généralement ignorée, ou les comparaisons avec des journaux
étrangers ont particulièrement plu. Mais tout au long de 2002,
aucune publication généraliste nationale n’a
présenté Bévues de presse dans ses pages «Livres», à
l’exception du Monde diplomatique (dont JP Tailleur est un ancien
collaborateur). Les librairies ont de ce fait été mal averties de la
spécificité de cet essai, certaines allant jusqu’à le placer dans leur
rayon humour à cause d’un titre un peu maladroit…
Le débat
proposé sur le maljournalisme n'a eu lieu que ponctuellement, pour le moment,
alors que l'actualité s’y prêtait (avec la montée de l’islamisme en France,
le cas Vivendi, pour citer deux des sujets évoqués dans le
livre à travers leurs mauvais traitements médiatiques). Mais tôt ou
tard, ce débat aura lieu, de toutes façons.
(*) Bruno
Frappat, le directeur de
La
Croix,
licenciera
le journaliste
Alain Hertoghe
fin 2003,
suite à la
parution de La guerre à outrances
(«comment la
presse française nous a désinformés sur l'Irak»)...
CAS D'ECOLE
1)
Le mensuel Technikart
est le premier
journal national a avoir cité des propos de l'auteur de
Bévues de presse,
dans une
interview de novembre 2003, près de deux ans après la parution du
livre. Une
journaliste du Nouvel Observateur
a aussi interrogé longuement Jean-Pierre
Tailleur pour un dossier paru le même jour sur
"la face cachée du journalisme"
(30 octobre 2003),
mais ses travaux ont encore une fois été totalement occultés.
L'hebdomadaire a finalement publié
une lettre qui corrige un peu cette faute.
Le boycott de
Bévues de presse
tient davantage des mauvaises habitude d'une profession peu
critiquée que d'une volonté déliberée
de censurer, comme
l'illustre ce courrier paru dans
Le Nouvel Observateur
deux semaines plus tard:
Votre dossier sur les
défauts de la presse française, réalisé en écho des critiques de la
presse médiatisées ces derniers temps, laisse dans l'ombre quelques
thèmes importants. [...] Il tend à déresponsabiliser les rédactions,
à en faire des victimes de leur environnement et à ne s'intéresser
qu'au microcosme parisien. Du coup, pour prendre un seul exemple,
votre dossier ne s¹attarde pas du tout sur la perte de vitesse des
journaux au centre de nos rouages démocratiques: les quotidiens
régionaux.
Vous auriez pu évoquer
cette face cachée du journalisme français, et bien d¹autres aspects
mal débattus, en vous référant à l¹essai Bévues de presse [...] dont
je suis l¹auteur. Le Nouvel Observateur n¹a pas vocation à être une
«Star Academy» de l'édition qui ne s´intéresserait qu¹aux travaux
médiatisés parce qu'ils dérangent moins, n'est-ce pas? Jean-Pierre TAILLEUR
2)
Témoignage d’un
journaliste de presse régionale :
L'interview
concernant votre essai Bévues de presse a finalement été
censurée.
Néanmoins, après négociation avec la rédaction en chef de L'Est-Eclair
et Libération Champagne, j'ai pu rédiger une brève note de lecture
parue ce jour dans les colonnes Informations générales des deux
quotidiens. L'occasion pour moi d'orienter le lecteur vers mon site où
est reproduite l'interview dans son intégralité et la genèse chaotique
de l'article (www.gasperitsch.com).
J'ai estimé en effet que la non-parution de l'article, qui correspond
à une commande, est une atteinte à votre liberté d'expression et à la
liberté d'information. Cela d'autant plus que vous dites bien haut ce
que bon nombre de journalistes pensent à part eux, ainsi que j'ai pu
le constater.
Devant
mon insistance et mon argumentaire, le rédacteur en chef a finalement
justifié sa décision de censure en reconnaissant adhérer à votre
bilan. Sur la défensive, il a simplement noté que l'article serait
paru si l'essai était le fait d'un journaliste connu, comme «le
rédacteur en chef de Marianne et non d'un auteur marginal». Je pense
pour ma part que le rédacteur en chef a eu peur de sauter. Le courage,
notamment des opinions, est une qualité rare dans le monde de la
presse écrite française.
Votre
essai correspond à une triste réalité de la presse écrite française
d'aujourd'hui, régionale bien sûr puisque c'est celle avec laquelle je
collabore. Mais, au risque de vous surprendre, le constat que vous
dressez reste néanmoins en deçà des pratiques qui ont cours dans la
profession. Entre manque de réactivité, diffamation, dérapage racial,
incompétence, méconnaissance du lectorat et des bases élémentaires du
journalisme, prise de décisions erronées, la liste des carences
pourrait être bien longue.
Heureusement, comme vous le constatez vous-même, certains titres
sortent du lot. C'est rassurant. En ce qui me concerne enfin, je
continue la lutte, commencé à ma sortie de l'ESJ de Lille, pour une
réelle qualité rédactionnelle et un vrai professionnalisme. Ce qui
m'encourage, c'est que la jeune génération de journalistes (dont je
suis) pousse dans ce sens. Cela aussi est rassurant.
Commentaire de JP
Tailleur:
Ce reproche fait à l'essai de ne pas être écrit par "un
journaliste connu" est très spécieux. Juger sur pièce est pourtant à
la base du journalisme, et de plus, jamais un «rédacteur en chef de
Marianne» ne fera un livre ayant demandé plus de trois années de
travail à temps plein. Plusieurs raisons à cela: par manque de temps,
car trop d'amis ou d'ennemis dans la profession, et surtout parce que
Marianne illustre souvent le «maljournalisme» (manque de rigueur et de
reportage) dénoncé dans ce livre.
3)
Autre témoignage,
reçu par courriel, d’un journaliste du magazine Marianne
quelques semaines après une longue interview:
Jean-Pierre, Je ne doute pas de l'intérêt de votre livre (sinon je
n'aurais pas écrit un papier) mais de la volonté de Marianne de le
publier. Confraternellement,
Ph.