L’indifférence à la qualité dans la PQR | |
Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme
Voici des témoignages de journalistes sous-payés de la presse quotidienne régionale, intermittents mais majoritaires. L’indifférence à la qualité de l’information, trop fréquente dans ces journaux, contribue au manque de crédibilité que suscite la PQR généralement. Elle se plaint de la baisse de son lectorat sans s'intéresser aux questions soulevées par ces «CLP».
Je ne suis pas à trop à plaindre en tant que correspondant local de presse (CLP), mais ce n’est pas très significatif venant de moi. J’ai en effet travaillé pour une entreprise particulièrement difficile sur le plan des relations humaines, et les choses se passent assez bien au sein de l’agence locale pour laquelle je couvre un village et ses alentours. Il y a bien un ou deux journalistes salariés avec lesquels il y a des frictions, mais ce sont les aléas du monde du travail. Ce que je trouve particulièrement dur, en revanche, c’est l’absence d’encadrement. Ne faisant officiellement pas partie de l’équipe de ce quotidien régional, je suis souvent seul face à mes questions et à mes doutes. Certes, ses journalistes ne sont pas là pour former et soutenir les CLP, mais tout de même. Nous remplissons des colonnes essentielles de leurs journaux, et c’est important de réfléchir sur l’amélioration de notre couverture des événements. Nous avons ce type de discussion, parfois, mais c’est toujours à la va-vite. J’ai déjà tenté de rédiger mes papiers dans les bureaux du journal, pour m’investir davantage dans le travail de reporter. Il y a malheureusement eu un accrochage avec un journaliste qui se disait trop souvent dérangé par mes questions. Il était pourtant en charge de la coordination de l’équipe ce jour là, et avait le devoir de me répondre. Après cet incident, on m’a fait comprendre que si tous les CLP s’investissaient comme moi, le journal devrait bientôt se passer de journalistes salariés… Message reçu, alors j’ai réduit les visites à l’agence. Je travaille chez moi comme la plupart des pigistes, et envoie textes et photos par Internet. Ce mode de communication se développe de plus en plus sans qu’on nous rembourse toutes les dépenses qu’il induit, en abonnements et en matériels. Ces journaux ne savent pas investir efficacement dans des conditions de travail qui leur permettraient d’améliorer la qualité de leurs contenus et gagner des lecteurs. Lorsque je sollicite des conseils pour la rédaction des papiers, des procédés utiles pour progresser, dans le meilleur des cas on me répond très vaguement. De deux choses l’une: ils se taisent pour ne pas me décourager, ou bien ils n’osent pas me dire que je ne suis qu’un CLP «potable» et un journaliste médiocre. Mais je me demande si l’explication n’est pas ailleurs: ils s’en fichent, tout simplement. Cela pose le problème de la formation, la majeure partie des CLP n’en ayant pas. Ils sont recrutés sur le tas, et le journal ne leur donne pas de recommandations pour l’écriture des articles. Résultat, la qualité de l’information est proche de zéro. Je ne parle même pas de déontologie ou d’éthique, car les dirigeants du journal, au siège, ne savent pas ce que cela veut dire. A l’agence, la personne chargée de suivre mon travail n’est souvent pas la même. Mes papiers sont très peu corrigés «parce qu’ils conviennent», paraît-il. Mais je n’en ai aucune certitude et suis de toute façon persuadé qu’ils sont perfectibles. Cette absence de feedback est particulièrement difficile à vivre quand tu as la soif d’apprendre un métier de reporter qui te passionne. Normalement, je devrais travailler seulement selon l’agenda des manifestations annoncées. Mais maintenant que je connais bien le secteur sur lequel j’interviens, on s’adresse directement à moi quand il se passe quelque chose. Les gens ne prennent même plus la peine de prévenir la locale, et la rédaction apprend certains événements à la lecture de mes papiers. Le chef d’agence se satisfait d’avoir des correspondants autonomes et responsables, mais est-ce compatible avec nos maigres revenus et avec le manque de contrôle de nos enquêtes? Pour résumer la précarité de ma situation, juste un chiffre: je déclare moins de 500 euros annuels aux impôts alors que je couvre toute une zone rurale pour un grand journal. Les CLP citadins travaillent et gagnent beaucoup plus, forcément, parce qu’il y a plus d’événements chez eux. Je n’ai toutefois pas le choix, car pour éviter des frais de déplacement qui viendraient s’ajouter à nos (énormes!) piges, on nous confie la couverture du lieu de notre résidence. Mon territoire compte quelques milliers d'habitants, seulement, et tu te doutes bien qu’en terme de manifestations, ce n’est pas l’opulence. J’arrive pourtant à ramener des sujets hors agenda, même si cela reste limité, et dans ces cas, il m’arrive de travailler hors des limites de mon secteur. C’est ma bouffée d’oxygène en quelque sorte. Vu ces conditions, il est difficile de travailler toute la semaine pour le journal, alors je m’y consacre surtout le week-end. Comme il faut faire bouillir la marmite, j’ai dû prendre un job alimentaire, comme on dit, qui n’a rien à voir avec la presse. Le quotidien régional est mon seul lien avec le journalisme pour le moment, voilà pourquoi je poursuis cette collaboration. Je projette de suivre une formation spécialisée dans la presse, ce qui n'est pas évident entre le boulot, le travail de CLP et la vie de famille. Mais l’idée de tout arrêter et de tomber dans la routine de ce job rémunérateur me déprime. Je suis déterminé pour continuer, et souhaite également réfléchir sur les conditions de travail des CLP, dans un souci d’amélioration de la qualité de l’information. Voilà un aperçu de mon vécu de journaliste sans carte de presse qui, comme beaucoup d’autres, couvre la France profonde. Merci de ne pas divulguer mon nom ou celui de la locale parce que dans ce milieu, il faut se faire discret pour garder sa place.
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REACTION D'UN AUTRE CLP
J'avoue bien immodestement que mon problème est inverse. Je n'ai pas de formation de journaliste, mais ayant une bonne culture générale, je ne pense pas en avoir réellement besoin. Au début de mes collaborations comme CLP, j'ai été chouchoutée par le chef d'agence. Il adorait ma façon d'écrire, cela m'a donné confiance très vite, et en outre, j'ai eu droit à des réactions très positives des lecteurs. Par bonheur, cela ne s'est jamais démenti. Il y a bizarrement eu un ou deux avec qui les relations n'étaient pas au zénith, mais le temps a passé. Après quelques années, l'entente est parfaite. J'ai mûri, moi aussi... Quant aux rédacteurs salariés de ce quotidien régional, il y en a eu qui me jalousaient. Certains sont de très médiocres professionnels et n'écrivent pas d'articles qui peuvent susciter le moindre engouement. J'ai également souffert quand on a ajouté des fautes dans mes papiers, par incompétence. Du coup, c'est surtout avec les chefs d'agence que j'ai eu la cote. Pour ce qui est d'écrire au sein de l'agence, je n'en ressens aucun besoin. J'ai même dû batailler pour le faire depuis chez moi. C'est bien plus confortable et cela permet de conserver les papiers. Au bout du compte, le seul point noir est que je suis encore un écrivailleur d'occasion. Je n'ai toujours pas pu entrer dans cette rédaction comme salarié. J'aimerais changer de métier pour me consacrer à l'écriture, qui est une passion, mais je ne me fais pas d'illusions. Je vais néanmoins tenter ma chance en essayant de trouver des stages en radio, comme je n'ai aucune expérience dans la presse audiovisuelle.
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