Questions et droits de réponses sur Valeurs actuelles

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Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme

 

Gérard Gachet, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, souhaitait répondre à un commentaire lapidaire posté sur ce site, au sujet de son hebdomadaire. Les courriels qui suivent illustrent les malentendus propres aux débats sur la qualité de la presse française.

 

1) De : Gérard GACHET     (12 octobre 2004)

Objet : VIGOUREUSE PROTESTATION CONFRATERNELLE !!!

Cher Monsieur,

En tant que pourfendeur auto-proclamé du « maljournalisme », qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que Valeurs Actuelles est « une brochure publicitaire pour les avions de Serge Dassault » ? Si vous nous lisiez un tant soit peu, vous sauriez que nous ne parlons pas plus des avions Dassault que nos confrères, et uniquement quand l’actualité le justifie (salon du Bourget, commande spectaculaire, résultats annuels de l’entreprise…). Vous devriez quand même savoir que Valeurs Actuelles est généralement considéré, même par ceux qui ne partagent pas sa ligne éditoriale, comme un magazine honnête, rigoureux et crédible. Alors, soyez assez aimable de ne plus employer cette formule de « brochure publicitaire », aussi inexacte qu’injurieuse pour tous ceux qui font ce journal, et qui pourrait vous faire accuser, à votre tour, de « maljournalisme »…

Confraternellement,

Gérard GACHET,

directeur de la Rédaction,

VALEURS ACTUELLES

 

2) Commentaire incriminé

La protestation de M.Gachet était tout à fait légitime, indépendamment de son caractère « confraternel ». Voici la phrase contestée :

« Une grande partie de la presse est désormais contrôlée par Serge Dassault. Le fabricant d'armes fait-il du Figaro et de L'Express ce qu’est trop souvent Valeurs actuelles, une brochure publicitaire pour ses avions?»

 

3) Réponse au directeur de la rédaction de Valeurs actuelles      (17 octobre)

Bonjour Monsieur Gachet,

Pour être plus précis, on pouvait lire dans mon site consacré au maljournalisme en France, que Valeurs actuelles est «trop souvent» une «brochure publicitaire» pour les avions Dassault. J’ai constaté maintes fois ce type d’interférence, en effet, dans la couverture de sujets liés aux intérêts du groupe. Mais ces mots entre guillemets peuvent sembler excessifs, je vous le concède. Ils ont été remplacés par des termes plus nuancés (dans la page d'accueil et dans celle où figure une note sur l'achat du Figaro). Ces commentaires n’excluent d'ailleurs pas que Valeurs actuelles puisse contenir aussi des articles de qualité. Je le lis assez régulièrement, contrairement à ce que vous croyez, et apprécie certains éditos.

La lecture de Bévues de presse montre que je n'ai rien contre votre ligne éditoriale ou votre actionnaire. Valeurs actuelles y est critiqué à travers le traitement de l’immigration et de l'aviation ou via une comparaison avec The Economist, sur la base de faits. Des hebdomadaires «anticapitalistes» comme Marianne ou Le Canard enchaîné font l’objet d’analyses similaires, selon les mêmes critères artisanaux (la richesse et la diversité des sources citées, principalement). Vous conviendrez avec moi que la presse écrite française gagnerait à débattre ouvertement, avec pragmatisme, sur la qualité des enquêtes qu'elle publie.

Voilà ma démarche, en très résumé.

Cordialement,

Jean-Pierre Tailleur

 

4) Commentaire modifié (posté du 15 au 21 octobre):

« Une grande partie de la presse française est contrôlée par Serge Dassault depuis la mi-2004. Le Figaro et L'Express risquent-ils de ressembler à Valeurs actuelles, qu'il détenait déjà? (i.e. à un hebdomadaire au contenu très inégal, parfois devenu un outil de promotion des avions Dassault ?).»

 

5) De : Gérard GACHET       (17 octobre)

Monsieur et Cher Confrère,

Pour un grand professeur de déontologie, pas terrible, le pseudo-rectif concernant Valeurs Actuelles sur votre site : « i.e. un journal au contenu très inégal, parfois devenu un outil de promotion des avions Dassault ? »  Si j’en crois le point d’interrogation, vous n’en êtes plus tout-à-fait sûr, c’est déjà ça… Mais cela ne vous empêche pas de reprendre ces accusations ailleurs sur votre site, en parlant des « pressions grossières exercées par Dassault sur Valeurs Actuelles ». Sans, bien sûr, avancer le moindre élément à l’appui de cette affirmation parfaitement gratuite. Enfin, on a les autorités morales qu’on peut…

Gérard GACHET,

PS : Vous auriez pu au moins avoir la correction de publier ma lettre. A moins qu’elle ne dérange votre éthique à sens unique ?

 

6) De : JP Tailleur      (17 octobre)

Re-bonjour Monsieur Gachet,

Ce point d’interrogation ne porte pas sur mon commentaire, mais sur le fait de savoir si Le Figaro publiera les articles que je reproche à Valeurs actuelles (parfois ou souvent, mais pas systématiquement bien évidemment).

Je suis tout a fait disposé à publier dans mon site vos réactions critiques. Je suis ouvert à tout texte qui puisse alimenter ce débat, et suis le premier à reconnaître mes erreurs. Concernant les interférences avec les intérêts Dassault, je fais référence aux exemples mentionnés dans mon essai (salon du Bourget, etc.) et à beaucoup d'autres (ex. le numéro du 16 juillet 2004 sur les maisons modulaires Dassault-Algeco).

Cordialement, Jean-Pierre Tailleur

 

NB : Il y avait une coquille (il manquait un «à») dans la question «Le Figaro et L'Express risquent-ils de ressembler à Valeurs actuelles, […] à un hebdomadaire au contenu très inégal […] ?». Cela a probablement induit M.Gachet en erreur sur ce point précis.

 

7) De : Gérard GACHET       (18 octobre)

Cher Monsieur,

Merci de vos réponses, qui se sont croisées avec mon mail d'hier, et de l'ouverture d'esprit dont vous y témoignez. Juste pour reprendre les deux exemples d'"interférences" que vous citez, puis-je faire les observations suivantes ?

1) En ce qui concerne le Salon du Bourget, est-il envisageable de lui consacrer un dossier complet sans parler, parmi d'autres, des avions Dassault ? Pour le coup, une telle occultation pourrait sembler étrange...

2) Pour ce qui est des maisons modulaires Dassault-Algeco, nous avons été parmi les derniers à parler du sujet, d'autres médias n'ayant aucun lien avec le groupe nous ayant largement précédé (Le Parisien, Europe 1, etc.). Encore une fois, devons-nous interdire de séjour dans nos colonnes toute information concernant les activités portant le label Dassault ? Ou, au contraire, la traiter comme les autres informations, ce que nous nous efforçons de faire ?

Cordialement, Gérard GACHET

 

8) Mise au point de JP Tailleur      (postée le 23 octobre)

Quelques précisions sont nécessaires pour compléter cet échange:

--Ce site Internet est destiné à pointer les défauts occultés - ou très peu abordés - dans les débats publics sur la presse française. Ces fautes et ces silences sont désignés par le terme de «maljournalisme», comme d’autres ont parlé de malbouffe avec le soutien des médias.

--La ligne éditoriale du site – et de Bévues de presse, l’essai dont il est dérivé – est résolument critique. Cela se justifie dans un contexte d’autoglorification ou de victimisation systématique quand les journalistes évoquent les dysfonctionnements et les crises de leur secteur.

--Les commentaires incriminés ont été retirés de la page d’accueil pour être remplacés par cette page plus explicite.

--Les propos en question sont jugés scandaleux, mais ils ne sont pas dénoncés dans les colonnes de Valeurs actuelles ou de ses confrères. Internet héberge des débats sur le journalisme ignorés dans la presse papier, en effet.

 

Pour revenir à l'objet de cette discussion avec M.Gachet, il était inconvenant de présenter Valeurs actuelles principalement comme une «brochure publicitaire» pour les intérêts de ses actionnaires:

1)Cet hebdomadaire, mal connu de nombreux visiteurs du site du «maljournalisme», propose aussi et surtout des informations soignées sur les questions d’actualité. Par conséquent, son contenu ne se résume pas aux conflits d’intérêt relevés et dénoncés dans Bévues de presse notamment.

2)Valeurs actuelles a en particulier le mérite de défendre des opinions peu exprimées dans les grands medias sur les questions de société (ex. les éditoriaux de son chroniqueur politiquement incorrect Christian Combaz). Sans les outrances ou l’extrémisme d’un Minute, ses journalistes ont des positions souvent minoritaires qui méritent d’être lues.

 

Quant aux liens entre Valeurs actuelles et Dassault, on repère aisément, au hasard des lectures et de façon régulière, des articles sur les activités du groupe industriel :

--Comme le souligne Gérard Gachet, cela n’a rien de répréhensible en soi et les autres médias le font également. Ce qui pose problème, en revanche, c’est le traitement complaisant (des ventes des avions de combat Rafale, par exemple, le 23 janvier 1999) ou bien la quantité de pages accordées à l’aviation dans certains numéros : notamment au moment du Salon du Bourget, jusqu'à un cinquième de la pagination du journal nous indiquions dans Bévues de presse (on peut encore lire sur Internet les articles consacrés au Salon de 2001).

--De même avec les maisons modulaires, proposées par les groupes associés Dassault et Algeco. Il s’agit d’un sujet d’article tout à fait admissible pour Le Parisien comme pour Valeurs actuelles, mais cette double page du 16 juillet 2004 ressemble plus à une brochure publicitaire qu’à un article journalistique : par sa longueur, tout d’abord, démesurée pour un magazine généraliste à forte coloration politique, financière et culturelle; par son traitement, ensuite et surtout, avec par exemple l’absence d’avis (critiques ou pas) de tiers. Serge Dassault et le directeur d’Algeco en sont les seules sources citées, photo à l’appui, et la présence du groupe avionneur dans un projet lié à la construction n’est pas du tout expliquée.

--Les interférences de ce type sont « grossières » en ce sens qu’on les note moins dans d’autres journaux détenus par d’autres groupes industriels. On ne relève pas de notes aussi unilatérales et élogieuses sur la Fnac dans les colonnes du Point, par exemple. Le Nouvel observateur pratique ce type de battage avec les livres de Jean Daniel, mais l’allégeance n’est pas du même ordre…

--Cela étant, on ne trouve pas de tels articles dans toutes les éditions de Valeurs actuelles, il faut le re-préciser aussi. En notant également que la presse a rarement ce genre de délicatesse lorsqu’elle relève des fautes récurrentes dans d’autres professions...

 

Pour conclure (provisoirement?) : il a fallu attendre plus de cinq années - et l’existence de ce site Internet – pour qu’un dirigeant de Valeurs actuelles réagisse aux accusations de « pressions grossières » publiées dans un journal à grand tirage (dans une enquête du Monde diplomatique, complétée par la suite dans Bévues de presse). Cela illustre l’absence de débat sur ces questions en France, ou plutôt leur confinement dans des cercles idéologiques : il n’y a pas de dialogues entre journaux catalogués comme « réacs » ou « gauchistes », et pas de discussions argumentées sur les contenus des articles. Les interrogations sur le travail des journaux se cantonnent dans des terrains politiques et intellectuels essentiellement, pour éviter les questions qui gênent le plus la profession.

Valeurs actuelles pourrait aussi défendre ses idées en contestant les méthodes d’enquêtes de Marianne, qui est son équivalent à gauche, un «news magazine» plus apprécié ou remarqué pour ses postures que pour ses enquêtes. Mais cela demanderait d’accepter d’être critiqué en retour, sur la base de critères artisanaux (ceux de l’Art du reportage…). Si la presse française était préparée pour ce type de remise en question, M.Gachet n’aurait pas supposé, d’emblée, que celui qui se permet de critiquer son journal ne peut pas le connaître. Il n'aurait pas statué, non plus, que ses constats ne sont pas du tout argumentés, alors qu'il suffit de lire les travaux déjà publiés et incontestés pour prouver que c'est faux.

Le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles a toutefois souhaité débattre sur ce thème, ce qui est rare dans une corporation hostile par principe à un tel dialogue. C’est une démarche qu’il faut saluer.

JPT

 

9) De : Gérard GACHET         (25 octobre)

Cher Monsieur,

J'ai lu et apprécié votre présentation de notre correspondance sur votre site. Je ne suis pas forcément d'accord avec certaines de vos remarques qui peuvent être subjectives, mais cela fait partie du droit de critique de chacun.

J'espère que vos visiteurs auront ainsi une image plus exacte de notre magazine.

Bien confraternellement cette fois-ci!

Gérard GACHET

 

 

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