Journaux français & torture en Irak

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Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme

 

Rebond politiquement incorrect sur les humiliations de prisonniers et la décapitation de Nick Berg

La méthode que votre essai Bévues de presse applique, dans la critique du journalisme, permet de relever des faits alarmants sur la couverture de l’actualité internationale en France. Certaines tendances choquantes et perceptibles à la veille du conflit irakien, exposées dans l’essai La guerre à outrances d’Alain Hertoghe, n'ont fait que s'aggraver. Je me réfère à cette autre lepénisation des esprits, à ce détestable et lâche esprit de Munich, également dénoncés par une minorité d'intellectuels courageux.

Les médias, notamment la télévision et les quotidiens comme Le Monde, ont souvent abandonné leur travail professionnel et leurs devoirs déontologiques pour se plonger dans ce que, sous d'autres latitudes et en d'autres temps, on appelait "l'éducation des masses". Les traitements abusifs infligés aux prisonniers irakiens par une poignée de soldats états-uniens sont utilisés comme instrument de domestication idéologique et de contrôle social. Au moment où le scandale éclate, l'accusation de morts causées par des tortures n'est pas encore prouvée. On sait déjà avec l'affaire des photos publiées dans le Daily Mirror - des faux grossiers – qu’il y a eu une tentative d'intoxication contre les soldats britanniques.

Les sévices infligés à des prisonniers irakiens sont blâmables, tout le monde en convient. Mais ils ne sont rien, à mon avis, au regard des exécutions barbares d'occidentaux par les islamistes, en comparaison avec les attentats aveugles contre la population civile irakienne, par rapport aux kamikazes qui massacrent des fonctionnaires, des civils ou des soldats de la coalition. Ces derniers ont tué, eux aussi, mais beaucoup de journalistes feignent d’ignorer que l’occupation de l’Irak a permis de libérer ce pays d’une dictature encore plus sanguinaire.

L'otage nord-américain Nicholas Berg a été égorgé entre autres raisons parce qu’il était juif, tout comme Daniel Pearl au Pakistan. Je suis consterné de voir l'indifférence, la neutralité, la brièveté ou la froideur clinique avec laquelle cet assassinat a été traité par la télévision française (tout comme celui de l'otage italien, quelques semaines auparavant). L'évasion héroïque de l’autre Américain qui avait été enlevé par des terroristes, ou encore l'histoire des otages japonais, italiens et russes plus récemment, libérés après d'obscures négociations, méritaient plus de curiosité des correspondants parisiens. La vie de ces êtres humains, leurs souffrances au cours de leur captivité, n'ont déclenché qu'un intérêt furtif et apparent de la part des médias français. Comparativement, l'affaire des prisonniers irakiens humiliés – parmi lesquels figurent des terroristes - fait l'objet d'une indignation démesurée et prétendument universelle.

Des journalistes français tentent d'exploiter ce sale épisode pour diaboliser les Etats-Unis. Ils renforcent la croyance populaire selon laquelle la position officielle par rapport à la destruction du régime de Saddam Hussein est moralement supérieure à celle des Etats-Unis, de la Grande Bretagne et les autres pays de la coalition. Je ne partage pas ce point de vue. Parallèlement, je constate aussi qu'il y a une corrélation entre la montée de l'antisémitisme en France, qui est en train d'atteindre des sommets, et celle de la propagande anti-américaine. Plus ce pays devient hostile aux Etats-Unis, plus l'antisémitisme prend de l'ampleur.

Comment pourrait-il en être autrement? Il y a comme une logique implacable qui se développe de plus en plus. D'un côté, les médias versent des tonnes de larmes de crocodile pour les prisonniers humiliés qui témoignent, plus tard depuis chez eux et en bonne santé, sans que personne ne contrôle la véracité de leurs propos. De l’autre côté et au même moment, la décapitation froide et ignoble d'un otage occidental devant une caméra ne suscite pas de pitié ou de protestation de la part de nombreux correspondants français en Irak, ou des présentateurs des journaux télévisés parisiens. Il en a été de même avec les images de liesse populaire bestiale autour des dépouilles de trois Américains tués, brûlés dans leur véhicule puis traînés par la foule. La conclusion que les esprits les plus crétins de la population française en tirent est celle-ci: que les Américains, les Britanniques et les autres "occupants de l'Irak", sans épargner les Israéliens, sont les ennemis, et que leurs ennemis sont nos amis. Pourquoi, dès lors, respecter les synagogues et les cimetières juifs?

Le 12 mai dernier, au journal de la chaîne publique France 2, Bertrand Coq, l'envoyé spécial à Bagdad, faisait un reportage cynique dans lequel il montrait l'indifférence et la satisfaction de certains Bagdadis à l'égard de l'égorgement de Nick Berg. Ce reporter semblait très content de donner la parole à ces quelques individus apparemment rencontrés dans la rue, à leurs sentiments abjects et à leurs débordements de haine. Le correspondant de France 2 n'a pas montré d'Irakien affecté par ce qu'on a fait à l'otage, qui n'était même pas un combattant. Bertrand Coq n'a pas exprimé de commentaire critique sur cette tuerie, non plus, comme si pour lui ces actes étaient une "juste revanche", une sanction symétrique de l'occupation occidentale.

Ce reportage de France 2 et l'attitude de son journaliste m'ont donné l'envie de vomir. Néanmoins, je me doute que peu de téléspectateurs partagent ce point de vue. Ainsi va, hélas, l'éducation des masses en France.

   A.C.

 

Post scriptum:

L’exécution de Nick Berg a donné lieu à une multitude de postures morales dans les médias français, sur le droit de montrer de telles images violentes à la télévision. A l’inverse des commentaires de l'internaute A.C. publiés ci-dessus, ces débats détournent les regards des véritables fautes commises dans la couverture du conflit. Ces fausses critiques traduisent beaucoup d’égoïsme de consommateurs d’information qui veulent avant tout préserver leur «confort bourgeois», et ignorer la réalité d’une guerre.

L’hebdo du médiateur de France 2 a contribué lui aussi à cette diversion sur l’information, à un "abrutissement des masses" sous couvert de mea culpa. Cette émission autocritique des journaux télévisés a traité le reportage de Bertrand Coq, mais l’angle choisi par Jean-Claude Allanic était assez consternant: selon  l'ombudsman de la chaîne publique, seules des images ralenties, montrant une scène de la vie quotidienne à Bagdad, posaient problème (L’Hebdo du 15 mai 2004). Certes, la séquence en question – un cuisinier coupant de la viande avec un couteau – n’était pas de très bon goût pour commenter la décapitation de Nick Berg. Mais elle était extrêmement courte, perdue parmi d'autres images, et bien moins choquante que l'assimilation de l’égorgement d’otage aux humiliations de prisonniers.

Un correspondant aux Etats-Unis, en Israel, n'a pas du mal à trouver des citoyens hostiles aux bombardements d'Irakiens ou de Palestiniens, aux exactions des soldats de leur pays. N'est-il pas surprenant que Bertrand Coq n'ait pas fait témoigner un seul Bagdadi contre les atrocités subies par Nick Berg? Plutôt que de remettre en cause ce reportage regrettable, le médiateur de France 2 a donné la parole à des téléspectateurs qui pensent que c’est pas bien d’être méchant, parce que respecter les hommes «c’est super important»...

 

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