Bévues de Presse

"Midi Libre" de Montpellier

 

Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme

 

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Remarque d'un lecteur parisien, créateur de l'observatoire des élites, en visite dans le sud de la France (juin 2004):

Je viens de passer quelques jours dans les environs de Tarascon, Beaucaire, Avignon, Uzès, au moment de la feria de Nîmes. L'occasion de feuilleter Le Midi Libre et de vérifier à quel point les remarques de Bévues de presse sont justes, quant à la piètre qualité des quotidiens régionaux (car comme dit son auteur, il y a pire ailleurs). Sans aller dans le fond du journal, sans savoir s'il est ou non à la botte des pouvoirs locaux, voici quelques échantillons relevés au gré de mes lectures:

-- Dans un article sur les efforts de la ville de Bagnols sur Cèze pour devenir "ville fleurie", la ponctuation est sans logique, un mot manque dans les premiers paragraphes et les phrases sont en langage parlé.

-- Concernant la commémoration du débarquement de Normandie, j’ai relevé un encadré de Une titré «La belle histoire de la résistante et du para». L’article trace le portrait d'un parachutiste du Special Air Service ayant épousé une française, tous les deux retraités à Montpellier.

Le récit de leur rencontre commence par «le parachutiste français Georges Chamming's». Il y a une faute énorme sur la nationalité de l'ancien combattant, au coeur même du sujet, ou bien Le Midi Libre n’explique pas assez ce que faisaient des Français dans les SAS. L’article, en page intérieure, indique en sous-titre que «les parachutistes de la France Libre sont les premiers soldats alliés engagés d’Overlord», mais on n’apprend pratiquement rien sur eux.

-- Pour ce qui est de la présentation générale, les gros articles sont accompagnés d’un encadré et de «puces» censés donner les phrases clés pour comprendre de quoi il retourne. Cela évite aussi au lecteur paresseux de ne lire que des «points à retenir». Or ces phrases sont souvent sans verbe, et sorties du contexte, elles n'expliquent rien. Cela ne valorise pas les articles, et en plus, le but n'est pas atteint car on est obligé de les lire pour comprendre.

-- Les papiers sur la tauromachie sont ponctués du jargon hispanisant de cet univers, incompréhensible pour les lecteurs occasionnels ou les visiteurs de la région. Un encadré propose même l'interview d’un taureau gracié la veille. Les journalistes ont inventé de toute pièce un entretien surréaliste, brin de détente confus au milieu d'informations sérieuses et véridiques.

Peter Covel   www.lecordelier.com

 

 

Critique d'un rédacteur en chef du Midi Libre (groupe Le Monde), suivie de la réponse de Jean-Pierre Tailleur. Cet échange est révélateur des blocages et du maljournalisme dénoncés dans le livre. Certains reproches faits à Bévues de presse sont légitimes, et ce débat devrait être au centre des réflexions sur les médias et le «mal français». Mais le quotidien montpelliérain n’a pas cru bon de se défendre publiquement contre ce qui «frise l'escroquerie»... (mars 2002)

 

A vouloir critiquer la presse quotidienne, on risque de se brûler si une lecture attentive, pour ne pas dire exhaustive, d'un journal n'est pas effective. Un certain nombre de vos affirmations semble parfaitement injustifiées car les exemples allant contre un discours préétabli sont systématiquement passés sous silence. Oubli, méprise, voire mauvaise foi, je ne sais, mais je me dois de répondre. Je passe sur l'appréciation louangeuse de nos pairs, démolie ensuite de façon systématique en comparaison de titres de la presse espagnole. Et j'en viens à ce qui me semble essentiel.

 Page 98/ "Au Midi Libre, les informations susceptibles de jouer les contre-pouvoirs, parfois gênantes pour les notables, sont surtout publiées sous forme de brèves." Comment ne pas avoir relevé, signes indiscutables de notre indépendance vis à vis des élus, les papiers du 7 juin 1998 intitulé "Dérisoire et Indigne", signé Alain PLOMBAT, directeur de la rédaction , disant son fait à Georges Frêche ( page 2 Montpellier), le titre de "une" du 7 février 2000 intitulé "Le dérangeant "respect" de Blanc pour Haider avec en sous-titre «Les déclarations du président de Région à propos de la situation en Autriche suscitent émoi et polémique tant en Languedoc-Roussillon qu'à Paris». Cet appel de une renvoyait à une article signé J.Vilacèque titré : Conseil régional: l'onde de choc autrichienne, avec en sous-titre: Controverse autour des déclarations de Jacques Blanc qui "respecte" Jorg Haider. Et celui du 27 juin 2001 "Les cent plus mauvais jours de Frêche, général ébranlé, avec en sous-titre: L'agglo atomisée, Dugrand vexé, des Verts crispés, Roseau battu: l 'alchimie serait-elle périmée? Article en page 3 de Montpellier, signé Philippe Palat, de plus de 5000 signes.

 Relisez donc ces papiers fondamentaux qui vous ont échappé, par je ne sais quel hasard, et posez vous la question suivante: est-ce que ces articles sur les notables ont eu ou non une conséquence sur les relations de la mairie et de la Région par rapport à Midi Libre? Est-ce que le journal n'a pas joué là pleinement son rôle de contre-pouvoir? Est-ce que les auteurs des papiers sont, ou non, parfaitement identifiés?

 Vos réflexions sur le culte de la signature nous font sourire. On n'a pas l'habitude de tout signer. Tout ce qui a des initiales en Info Géné montre qu'un journaliste a fait une synthèse à partir de dépêches d'agences (AFP mais aussi Reuters). Les photos d'agences sont créditées contractuellement.

 Nous devons être humbles et quand vous écrivez (page 97) que Midi Libre néglige sa principale mission: expliquer les tenants et aboutissants locaux de cette catastrophe aux dimensions planétaires, alors là, si vous avez la potion magique qui explique tout alors que personne n'a rien vu venir et que les Américains ont naïvement formé les kamikazes, nous sommes preneurs.

 L'autre gros sujet de controverse est bien sûr votre façon de présenter, sans montrer, les unes des quotidiens comparés. Ecrire ainsi pour notre édition du 19 novembre 1999 "Dès la première page, Midi Libre botte en touche avec l'actualité sur laquelle il est censé être en première ligne comme nous l'avons déjà constaté" frise l'escroquerie. En effet, dire que la visite de Lionel Jospin, venu apporter le réconfort et annoncer une aide de 1,1 Milliard (F) pour l'Hérault, l'Aude, le Tarn et les P.O. sinistrés par le déluge dans une catastrophe qui a fait 31 victimes, est une information officielle, alors là, nous n'avons pas la même vision d'une profession, et je ne connais aucun journal régional, qui, dans une situation comparable, n’aurait pas fait ce que nous avons fait. Il y a là, une méconnaissance, ou pire, un mépris de nos lecteurs.

L'information Jospin prend à peu près 50% de la une et c'était complètement l'actualité du jour, indiscutablement. Vous auriez dû la montrer, expliquer le contexte et étudier ce que nous avons publié au fil des jours et non vous bloquer sur une seule parution isolée de son contexte. Cette une allait de soi.

 La comparaison, au besoin des formules de une des journaux, aurait permis de constater les différences dans le traitement de l'information. Car nous avons une formule avec 9 à 11 informations chaque jour à la une. Et cette formule peut, elle, être sujette à critique, je crois même que cela aurait été votre rôle. En tout cas, donner en signes dans votre présentation autant de place aux autres appels traités sur des surfaces beaucoup plus réduites n'est pas acceptable, car les mots annulent la notion de hiérarchie de l'information.

 Je ne polémiquerai pas sur quelques détails, même si je vous reproche fondamentalement de ne pas avoir lu les journaux avec le même soin que le papier économique sur l'Espagne. Et de ne pas avoir su séparer le bon grain de l'ivraie. Pour l'année 2001, Midi Libre a vu sa diffusion en semaine augmenter de 2%, sa une de l'attribution des Jeux Olympiques à Pékin, distinguée comme étant la meilleure de la PQR, deux confrères couronnés par la Fondation Varenne, et un sportif par le Crédit Lyonnais. On ne méritait pas, me semble-t-il ces traits de plumes faciles, et maintenant largement reproduits. C'est un peu dommage.

 Confraternellement.

 

Réponse de JP Tailleur :

Merci d'avoir pris la peine de me lire, et de me critiquer sur un ton qui convient à ce type de débat. Je vous réponds en plusieurs points:

1)Dans mon esprit, le rôle de contre-pouvoir d'un journal ne se mesure pas à travers des propos rhétoriques sur tel ou tel politicien. C'est à partir d'enquêtes de fond, menées sur de longues semaines et ayant un véritable retentissement sur le plan national, qu'un quotidien peut prétendre jouer ce rôle:

--Le fait que vous vous référiez en tout premier lieu a un article publié il y a quatre ans pour montrer le travail de contre-pouvoir face au maire de Montpellier, qui plus est sous la forme d'un édito - et non une enquête - ne fait qu'appuyer ma démonstration.

-- La "une" de février 2000 sur Jacques Blanc et Jörg Haider est un exemple de contre-pouvoir, je vous concède que j’aurais pu la rappeler pour nuancer ma démonstration. Mais le Midi libre n'a fait que crier avec les loups politiquement corrects, en profitant d'un débat nationalement récupéré par le président de la République. Quid des enquêtes approfondies sur les équipes du président de Région, par exemple? En publiez-vous beaucoup?

--Lors d'une rencontre entre Jacques Blanc et des journalistes locaux, j'ai remarqué comment les accusations d'être trop proche de l'extrême droite l'arrangent. Elles occupent l'essentiel des débats sur sa personne, et cela évite qu'on l'interroge avec persistance sur sa gestion des deniers  publics.

--L'article de juin 2001 sur "Les cent plus mauvais jours de Frêche" est un exemple de contrepouvoir, je vous le concède aussi, mais on reste sur le terrain politique politicienne.

--Si le Midi libre et ses confrères français faisaient de l'investigation, vous me citeriez des cas plus probants… et on en parlerait dans les colloques sur les médias et la démocratie.

Inclure les exemples que vous mentionnez n'apportait pas beaucoup à la démonstration de mon livre. Mais je vous accorde qu'ils sont à mettre à l'actif du Midi libre, raison pour laquelle je précise qu’il n’est pas entièrement mauvais. Lorsqu'un chroniqueur estime qu'un film est globalement médiocre, c'est son droit et on ne l'oblige pas à souligner des points positifs. De même, un critique gastronomique ne doit pas manger tous les jours dans un restaurant durant quatre ans pour pouvoir en rapporter une appréciation d'ensemble (concernant les articles de 1998 et 2001, je me trouvais à Paris et à Montevideo au moment de leur parution).

Je confirme, par conséquent, ce que j'ai écrit: oui, au Midi Libre le contrepouvoir s'exerce principalement "sous forme de brèves". Vous faites souvent des révélations intéressantes, mais elles sont rarement étayées par de véritables investigations!

2) Non, je n'ai pas le culte des signatures d'articles. Mais leur relative rareté dans la PQR me permet d'illustrer un fait: la valeur ajoutée informative de ces journaux tient beaucoup de l'actualité extra-régionale. Il se trouve que la plupart des journaux espagnols que j'ai lus indiquent mieux l'origine des articles d'agences qu'ils publient, et cela me semble plus sain.

3)--Vous ne m'avez pas compris concernant le 11 septembre. Loin de moi l'idée de reprocher à la presse régionale de n'avoir rien vu venir!!! Concernant le Midi Libre, je trouve simplement curieux que vous ayez surtout fait preuve d'effort en envoyant un journaliste aux Etats-Unis.

--Vous auriez pu faire plus d’enquêtes moins coûteuses entre Perpignan et Montpellier, en lien direct avec ces événements. Par exemple, je n'ai pas lu de véritable investigation pour savoir si Zacarias Moussaoui, devenu le Languedocien le plus connu dans le monde entier, a des soutiens dans notre région.

--Je constate aussi que, comme l'ensemble de vos confrères de PQR, vous mettez trop d’actualité (inter)nationale dans vos menus du jour, et négligez les enquêtes locales.

4) -- Je ne conteste pas la nécessité de mettre le chef du gouvernement en Une, ainsi que ses annonces d’aides, le jour de sa visite dans la région. Mais dans cet article que je cite, il y avait un énorme décalage entre le nombre de photos du Premier ministre, et le peu d'informations sur l'organisation de sa visite. Je ne vois pas en quoi il y a "mépris" de vos lecteurs.

-- Je n'avais pas à étudier ce que vous avez publié les jours suivants ou antérieurs. Comme pour les autres exemplaires mentionnés dans mon essai, je cite celui d'un jour choisi au hasard. Je ne suis pas infaillible, mais ne doutez pas de ma bonne foi. Si mes reproches à la PQR française s’étaient basés sur ce seul exemple, mes remarques auraient peu de valeur. Mais il s’agit d’un élément dans une longue liste de numéros cités.

-- Quant aux autres articles locaux annoncés en première page ce 19 novembre, ils apportent trop d'informations purement promotionnelles ou institutionnelles. Cela arrive très fréquemment dans la PQR française. Mais je vous accorde qu’il fallait préciser que les surfaces des articles annoncés en une ne sont pas les mêmes.

-- Il eut été ridicule de ma part de privilégier l'article sur le Premier ministre dans cette comparaison du Midi Libre avec ses confrères espagnols de ce jour-là. Il eut fallu, pour cela, que le chef du gouvernement espagnol fut en visite dans leur région au même moment.

--Certes, j'aurais pu chercher des exemples comparatifs de traitement des Premiers ministres français et espagnol dans la PQR. Mon travail de benchmarking n'a toutefois pas la prétention d’être exhaustif: que d'autres essayistes ou "médiologues" s'y mettent aussi! Les comparaisons exposées dans «Bévues de presse» ne font que débroussailler les premiers kilomètres d’un terrain inexploré, et j'invite d'autres journalistes à y ouvrir des voies plus larges...

-- Juger votre formule ne me semblait pas assez pertinent. Ce qui est plus intéressant, c'est goûter la qualité des articles annoncés en première page.

5) La critique du papier économique sur l'Espagne a dû me demander une semaine en temps cumulé. A ce compte et si on vous suit, la critique de la PQR devient absolument impossible. De plus, j'ai pris le soin de préciser que les fautes à répétition que je dénonce dans cet article ne sont pas systématiques dans vos colonnes. Mais on en voit trop souvent.

6) --J'annonce en introduction de l’essai que l'ivraie est plus intéressante que le bon grain, car elle permet de souligner les dysfonctionnements. Les journalistes font de même avec les hommes politiques, les restaurateurs, et je ne vois pas pourquoi eux-mêmes devraient être traités différemment!

--D'autre part, «Bévues de presse» ne fait que rééquilibrer une campagne de désinformation récurrente des médias français – notamment en PQR - tendant à ignorer totalement la question de la qualité des reportages.

7) --Le choix du Midi Libre est aussi dû au hasard, ayant vécu dans sa région ces dernières années. Comme je le précise dans l'essai, il me semble être un des meilleurs journaux de PQR français, ce qui me permet d'avoir une base de jugement a fortiori sur l’ensemble de ces quotidiens.

--Le +2% de diffusion et les distinctions sont des épiphénomènes, qui sortaient du cadre de mon ouvrage. Elles m’auraient conduit dans un terrain que j’essaye d’éviter: l'information d'ordre institutionnel, que vous ne vous privez pas de rapporter. Si dans les débats autour de «Bévues de presse», des personnes s'attardent sur Midi Libre, je leur rappellerai que vous n’avez pas à rougir par rapport à beaucoup de vos confrères français.

Pour terminer, certaines de mes affirmations vous semblent "parfaitement injustifiées"? Convenez que je n'ai pas été aussi catégorique dans mes critiques de la PQR. Au lieu de "parfaitement", j'ai préféré utiliser les mots "souvent" ou "parfois". Mes traits de plumes ne sont pas aussi gratuits que vous le laissez entendre, et expliquent pourquoi le Midi libre ne parlera probablement pas de «Bévues de presse» (ne serait-ce que pour dénoncer «l’escroc» que je suis accusé d’être. . .).

Je ne crois pas, qu’en France à ce jour, on ait publié une autre critique aussi étayée de la qualité de la presse. Le but de ce livre «à charge» est d'inviter les Français à engager des débats comme cet échange entre vos commentaires et ma réponse. Merci d'avoir joué le jeu.

Salutations de JP Tailleur

 

NB: Le Midi Libre a fini par publier une grande enquête sur l’islamisme dans la région de Zacarias Moussaoui (décembre 2002). Trop superficielle, en huit parties pourtant.

 

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