Bévues de Presse

Cher, Bretagne & presse écrite

 

Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme

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La presse écrite défend ses emplois davantage que son travail

 

On s’inquiète de la concentration et de la mainmise financières de quelques grands groupes sur les journaux. Mais le suivisme et l'uniformisation dans l'information, alliés au laxisme et à la médiocrité du travail des journalistes, risquent d'étouffer davantage la liberté et l'indépendance de la presse française. La défense des emplois dans ce secteur (et dans l'imprimerie) ne pourra se faire sans exiger plus de qualité journalistique.

par Jean-Michel Pinon, de L'Agitateur de Bourges

 

 En juin 2004, le fabricant d'armes Dassault était autorisé par l'Union Européenne à prendre le contrôle de 70 publications françaises, qui pour un tiers sont des titres de la presse quotidienne régionale. Dans le même temps, l'Observatoire français des médias lançait un appel contre la concentration et la mainmise financière sur les médias, une « menace pour l'indépendance des moyens d'information, de communication et d'éducation. » Un appel justifié, mais incomplet.

L’alarmisme au sujet des difficultés de la presse écrite n’est pas nouveau, pourtant. Dans leurs premiers temps, la radio et la télévision ont été accusées de tuer le « vrai » journalisme. Celui d'une presse écrite autoproclamée « sérieuse » par opposition à ces médias « de distraction ». Puis, ce sont les supports numériques (internet) et les journaux gratuits qui ont été accusés de tuer la poule aux œufs d'or. Leur professionnalisme a parfois été violement mis en cause par des «grands professionnels des médias»… sans lecture préalable!

A chaque fois, on a mis en avant l'argument de la défense de la liberté et de l’indépendance de la presse, de sa pluralité et sa qualité d'information, alors qu'on cherchait surtout à défendre des emplois, des intérêts financiers et des parts de marché. Si la « concurrence » et la « conjoncture économique difficile » sont souvent évoqués, jamais la qualité des contenus n'est débattue pour expliquer les difficultés récurrentes de cette forme de diffusion de l'information, apparemment vieillissante et agonisante.

 

L'indépendance de la presse : une bataille perdue depuis longtemps

 

L'Observatoire Français des Médias souligne à juste titre les dangers de la concentration des médias entre les mains de quelques groupes financiers. Mais le terrain de débat est bien plus vaste. La presse écrite (et les grands médias en général) est sous la tutelle des publicitaires, dont elle tire une part essentielle de ses revenus, c’est aujourd'hui une réalité indiscutable. Il y a aussi la dépendance par rapport à l'Etat lui-même, qui, pour répondre aux pleurnicheries des éditeurs de presse, n'hésite pas à redistribuer directement ou indirectement de l'argent public pour ces entreprises privées.

Au début du mois d'août 2004, le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin a annoncé le déblocage de sommes énormes dans le cadre du projet de loi de finance pour l'année 2005 : 19 millions d'euros afin d'aider les imprimeries des quotidiens nationaux et 19 autres millions pour les imprimeries des quotidiens régionaux. Par ailleurs, il a été confirmé la reconduction des crédits budgétaires finançant des autres aides à la presse et à l'Agence France-Presse (source AFP elle-même). De même, l'Etat s’est engagé à verser une subvention de 242 millions d'euros à La Poste au titre d'aide au transport de la presse (selon un accord signé le 22 juillet 2004). Une somme qui sera reconduite jusqu'en 2008.

Mais la dépendance des médias n'est pas uniquement financière, ses conséquences étant d'ailleurs peut-être anecdotiques. Elle est aussi le résultat du laxisme et de l'oisiveté des journalistes français. Ceux-ci se limitent en effet le plus souvent à un travail de simple rédacteur, se contentant, lors de conférences de presse, de recueillir des informations et déclarations sans les vérifier, ou de reformuler des dossiers de presse qui comportent de plus en plus souvent des « articles clé en main ».

L'affaire de la fausse agression de la mythomane Marie-Léonie dans le RER a sans doute fait prendre conscience au grand public de la dépendance quasi-fusionnelle des médias à l'égard des pouvoirs publics et institutions françaises. A cette occasion, les plus grands journaux français - dont Le Monde et Libération - se sont maladroitement dédouanés de leurs fautes journalistiques (manquement au devoir de prudence, absence de vérification des informations et d'enquête sur le terrain). L’argument était que l'information provenait d'une « source officielle », en l'occurrence les services de l'Etat (comme l’a montré l'excellent dossier d’Acrimed).

Tout porte à croire qu'une information, dès lors qu'elle émane d'une source officielle dispense les journalistes d'accomplir leur travail le plus élémentaire. Ainsi, l'AFP a-t-elle diffusé une dépêche, reprise par la plupart des médias sans aucune vérification. Les journalistes se sont contentés, comme c'est souvent le cas, de la récrire en fonction de leur ligne rédactionnelle pour illustrer une montée de l'antisémitisme mise en avant par le Président Jacques Chirac quelques jours plus tôt. Les médias se sont ainsi montrés, consciemment ou non, comme des organes officiels de la propagande du gouvernement, après avoir relativement ignoré le regain des vrais actes antisémites, après la deuxième Intifada.

 

Des médias au service de la communication des hommes de pouvoirs

 

Le procédé n'est pas nouveau. Lors de la dernière campagne présidentielle, les médias avaient tous déversé une prose abondante sur l'insécurité. Un thème jugé central sur la foi de quelques sondages, n'ayant évidement pas valeur d'enquête ou de travail d'investigation sérieux. Les médias sont dès lors devenus la plus importante arme publicitaire de la droite et de l'extrême droite. Le moindre fait divers de province a pris alors une dimension nationale. Soudain, la France devenait un pays très dangereux où la mort guettait chaque citoyen à tous les coins de rues.

Tout comme dans l'affaire Marie-Léonie, la presse écrite (et audiovisuelle ou radiophonique) n'a jamais fait son autocritique face à cet emballement hystérique. Pire, elle n’en a pas tiré de leçons. Sous couvert de mettre en lumière un « phénomène de société », les médias «fabriquent de l'opinion» plutôt que d’être en quête de justesse.

A titre d'exemple, un an après le phénomène de la canicule en France qui a causé près de 15000 décès, très peu de journalistes ont enquêté sérieusement (France 3, Libération…) sur l'efficacité des mesures sanitaires et sociales prises par le gouvernement. La plupart se sont simplement fait le relais des déclarations rassurantes du ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, contrebalancées parfois (mais pas toujours) par celles plus alarmistes d'un médecin omniprésent, le seul responsable syndical vraiment médiatisé. Entre un ministre occupé à faire de la communication et un syndicaliste hurlant au manque de personnel, chacun joue son rôle et le citoyen est prié de se faire sa propre idée subjective sur la situation sans autres éléments d'information constitutifs d'un jugement éclairé.

 

Un journalisme qui surfe sur les sujets de société « préfabriqués »

 

La médiocrité et le travail approximatif des médias vont souvent de paire avec un suivisme qui finit par lasser les lecteurs abreuvés de sujets et thèmes d'actualité montés en épingle. C'est le cas du problème de la vétusté supposée des ascenseurs en France. Profitant de l'opportunité d'un fait divers parisien au plein cœur de l'été (un ascenseur s'écroule, les utilisateurs subissent des blessures), la plupart des médias ont voulu en faire un « phénomène de société » pour dénoncer un soit disant état de délabrement des ascenseurs en France… tout en reconnaissant paradoxalement dans le corps de leurs articles que les accidents d'ascenseurs de ce type étaient extrêmement rares !

La polémique relative à la présence jugée de plus en plus importante des véhicules de type 4x4 dans les grandes villes constitue un autre exemple édifiant du suivisme des médias. Il y a quelques mois, le maire de Londres s'emportait avec véhémence contre la prolifération des 4x4 dans sa ville. Quelques jours plus tard, toute la presse française menait sa propre « enquête » sur les désagréments de ces voitures à Paris. A titre d'anecdote, L'Agitateur de Bourges a même été sollicité par un journaliste du Nouvel observateur qui souhaitait obtenir la confirmation d'une rumeur (par ailleurs absolument infondée à notre connaissance) selon laquelle Serge Lepeltier, ancien maire de Bourges et actuel ministre de l'environnement, se déplaçait en 4x4. Enfin, durant l'été, la presse provinciale, en mal de sujets car en mal de travail en profondeur, y est allée de son petit reportage sur la « plaie » des 4x4 dans leurs villes respectives de diffusion. Le Berry Républicain, à Bourges et dans le Cher, n’a pas échappé à cette règle.

La presse écrite devrait davantage prendre du recul et proposer une information de meilleure qualité par rapport aux médias radiotélévisés ou en ligne, mais on constate au contraire une tendance à l'imitation dans une course à l'information aussi effrénée qu'insensée. Les lecteurs n'éprouvent donc plus le besoin de relire le lendemain la même information sans plus-value que ce qu'ils ont vu la veille au journal télévisé ou qu'ils ont consulté sur les portails d'information du web qui diffusent les dépêches de l'AFP.

En courant désespérément derrière la télévision, la radio et l'internet, la presse écrite oublie que sa qualité principale est de pouvoir aller plus au fond des choses. Elle perd des lecteurs et se place à découvert face à de grands groupes financiers qui s'intéressent moins aux retombées financières qu'à la possibilité pour eux de contrôler l'information. En s'emparant d’Editis, la holding Wendel Investissement, dirigée par le président du Medef Ernest-Antoine Seillière, est ainsi devenue le deuxième groupe éditeur de manuels scolaires français…

 Jean-Michel Pinon, L'Agitateur de Bourges

 

 

Les commentaires qui suivent, publiés par Le Monde la veille du 21 avril 2002, auraient dû émouvoir l'intelligentsia journalistique ou les «médiologues». Mais il n’en a été rien, car il est plus convenu de s'inquiéter de la télé-spectacle (les reportages dopant la question de l’insécurité) ou des forces de l’argent (la course à l’audimat à la télévision). La passivité de beaucoup de journaux régionaux explique pourtant elle aussi la crise de la représentation citoyenne exprimée par le vote pour des partis extrêmistes.
 

Petits arrangements avec le maire

 

A la fin de sa captivante émission «Arrêt sur images» (France 5 du 14 avril 2002), Daniel Schneidermann, sans doute pris par le temps, a effleuré la partie émergée d'un iceberg. La manière dont les médias locaux, télévision comprise, répugnent à traiter des sujets qui fâchent avait été magnifiquement illustrée. Mais, en constatant que dans une localité de Bretagne où les autorités n'aiment pas parler des dangers de la dioxine qui menacent ses habitants, le correspondant du plus grand journal de France (Ouest-France) n'est autre que le secrétaire de mairie, Daniel Schneidermann a levé un lièvre qui mériterait d'être observé dans toute la France.

Ici, dans le Cher, la presse locale attend que les mairies des petites localités lui communiquent le compte-rendu officiel des délibérations des conseils municipaux. Le procédé évite à la fois des frictions avec les pouvoirs locaux, et de devoir payer des journalistes pour la collecte des informations. Le système est à ce point ancré dans la tradition locale que les abonnés aux journaux reprochent à leur municipalité, et non à leur quotidien, de ne jamais rien y trouver sur leur commune de résidence, lorsque leur municipalité n'est pas portée sur la «communication».

La presse n'est certainement plus corrompue comme elle l'était avant la seconde guerre mondiale (encore que les grandes pages de publicité en couleur dans la presse parisienne puissent éveiller des soupçons). Mais l'inversion des valeurs entre information et communication a sans doute conduit à ce résultat. En dépit de l'attention scrupuleuse que portent Daniel Schneidermann et son équipe à ce phénomène, bien rares sont ceux qui y sont sensibles.

 

NB: Un retraité de l’Agence France Presse a publié ces commentaires dans Le Monde Télévision le 20 avril 2002. Lire également: Maljournalisme à Bourges

 

 

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