Bévues de Presse

Centre & Sud-Ouest

 

Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme

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Pour certains Parisiens, les vacances d’été sont l’occasion de goûter à l’information publiée dans les quotidiens de province. Voici le témoignage de Peter Covel - animateur de «l'observatoire des élites» www.lecordelier.com - après un séjour dans le centre et le sud-ouest de la France.

 

Du Berry au Pays basque en passant par Toulouse

 

Le Berry Républicain du samedi 31 juillet 2004

--Les articles sont signés au petit bonheur : parfois le nom de l’auteur, parfois son nom avec son adresse électronique.

--Dans les pages Vierzon, une série du mois de juillet consacrée à une série de portraits... de secrétaires de mairies !

-- En bas de la page 9D, on a droit à un publi-reportage en forme de vraie fausse interview d’Optic 2000, avec une grande photo de Johnny Hallyday. La star est devenue le porte drapeau de la marque, en effet, avec sa femme. Cette véritable publicité est écrite avec des caractères distincts (plus gros) que dans les autres articles, mais la mention « publi-rédactionnel » ne figure nulle part. Elle est pourtant présente dans les pages similaires en presse féminine. Même un journal gratuit comme 20 minutes – si décrié au moment de sa sortie par les dirigeant de la presse quotidienne payante - exige de ses annonceurs qu’ils acceptent d’être présentés pour ce qu’ils sont. Il suffit de lire ses conditions générales de ventes d’espace publicitaire: « L’éditeur se réserve le droit de faire précéder le contenu de toute insertion à caractère publicitaire ou publi-rédactionnel de la mention "publicité" ».

-- Dans les dernières pages, on trouve la rubrique France et Monde. Ses articles ne sont pas signés, mais les photos sont légendées AFP. Une piste ?

-- En 4ème de couverture, un grand article sur l’explosion meurtrière de gaz en Belgique. Il s’agit manifestement d’un copiage collage maladroit de dépêches de l’Agence France-Presse. Les paragraphes sautent du coq à l’âne, très tranchés et courts, sans aucune narration, quasiment en style télégraphique.

NB : Le BR fait partie du groupe Centre France, comprenant également La Montagne, Le Journal du Centre, Le Populaire du Centre; son tirage quotidien moyen est de 37000 exemplaires environ.

 

Le Journal du Centre du lundi 2 août 2004

-- Politique de signature encore plus anarchique que son confrère du Berry.

-- En premières et dernières pages, les articles France et Monde sont là encore non signés. Mais les photos sont légendées AFP. La piste se resserre...

NB : son tirage quotidien moyen est d’un peu plus de 35000 exemplaires.

 

 

La Dépêche du Midi, édition Toulouse, Mercredi 11 août 2004

-- La DDM semble disposer d’un service France, puisque tous les sujets de portée nationale sont signés. Confirmation sur le site Internet : il y a bien un service actualités. Mais les articles d’information internationale ne sont pas signés.

-- Editorial d’un certain Jean-Christophe Giesbert, le frère de Franz-Olivier, habitué des plateaux télé comme porte-parole du journal toulousain. Or l’ours du journal tel qu’il figure sur le site Internet ne mentionne ce nom nul part.

NB : Hachette Filipacchi détient 15% du capital et la famille Baylet 67% ;  Jean-Michel Baylet, PDG, est également sénateur du Tarn et Garonne et président du PRG… ; sa diffusion n’est pas communiquée dans le journal ou sur son site !

 

 

Sud Ouest, édition Pays Basque, samedi 7 août et mardi 10 août 2004

-- C’est la bonne surprise de ces vacances, avec pour commencer un éditorial savant et pédagogique de Frank de Bondt sur « l’église et les femmes », des articles le plus souvent signés (sauf pour ce qui est des informations internationales).

-- Un long article sur Henri Emmanuelli, élu de la région mis hors de cause dans l’affaire Destrade. Il se termine par un encadré qui nous informe sur le travail du journaliste : « Joint, hier soir sur son lieu de vacances, Henri Emmanuelli n’a pas souhaité commenter par téléphone l’information que nous publions ce matin. Il désirait joindre son avocat auparavant. » Voilà qui augmente l’acuité des citoyens, leur connaissance du processus de production de l’information.

-- Un petit bémol, toutefois, avec le Cahier Pays Basque. On est en pleines fêtes de Bayonne, Hendaye puis Dax, et avant l’arrivée du Pape à Lourdes, et la part belle est donnée aux festivités de l’été. Il faudrait lire ce cahier en saison creuse, pour apprécier la variété et la pertinence de son contenu.

-- L’article sur un café branché de Biarritz résonne comme une publicité dithyrambique. Certes, on comprend qu’il s’agit d’un phénomène local, le seul endroit où les jeunes biarrotes se retrouvent le soir. Mais cet article passe à côté du principal : quelques jours plus tard, on apprend dans une autre édition que suite à des plaintes de riverains, ce bar tendance est désormais astreint à fermer à 2 h du matin !

-- Interview bilan des festivités de Bayonne dans l’édition du 10 août : Sud Ouest interroge l’adjoint au maire chargé des fêtes, avec un axe sur la sécurité (un jeune homme est mort en chutant des remparts). L’interview d’un responsable des pompiers ou de la police ou des services de secours aurait peut-être été plus pertinente pour dresser ce bilan de manière factuelle et objective.

-- On peut relever d’autres curiosités éditoriales durant les fêtes de Bayonne. Un tenancier de bar, toujours le même, raconte ses impressions au jour le jour au journaliste qui les retranscrit dans les pages consacrées à l’événement. Sur chacune de ces pages, dans un tout petit encadré, un mystérieux « Piéton » livre des petites infos ou des coups de gueule, et se félicite de la réouverture du cimetière... Sud Ouest fait de l’excès de zèle dans la proximité.

NB : le capital du Groupe Sud Ouest est détenu à 80% par la famille Lemoine, et à 20% par les membres du personnel ; tirage  du  6 août  toutes éditions : prés de 434000 exemplaires.

 

 

Conclusion de ce périple vacancier et journalistique

 

La découverte du contenu de ces journaux m'amène à faire deux remarques, pour terminer :

1- L'information nationale et internationale est réduite à la portion congrue en PQR. Elle est traitée de manière sommaire, en effet, souvent par simple reprise des dépêches de l'AFP. Elle constitue pourtant la matière principale des quotidiens nationaux, devant être importante aux yeux des lecteurs exclusifs de Libération, du Monde et du Figaro. Les préoccupations des habitants de «province», telles qu'elles sont pensées ou imaginées par les directeurs de leurs journaux, semblent rarement dépasser leur département. Cette vision des attentes des populations correspond-elle à une réalité ?

 2- L'imagination éditoriale n'a pas de limites quand il s'agit de rendre le contenu «sexy»: encadrés humoristiques style «Le Piéton», interview vraie-fausse de taureaux graciés (comme j'ai pu le lire dans le Midi Libre, récemment)... Avec les conséquences que l'on sait : Le Quotidien de la Réunion a inventé un dialogue entre Bernadette Chirac et le chanteur Corneille, «scoop» repris par le Canard Enchaîné ! La PQR française joue trop souvent sur la confusion entre fiction et réalité, entre information et humour aussi, et ce n'est pas à son honneur.

 

 Peter Covel

www.lecordelier.com

 

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