Bévues de Presse

Ecole Supérieure de Journalisme de Lille

 

 

Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme

 
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Critique publiée dans une revue co-éditée par l’ESJ de Lille et l'Université Laval de Québec

© Les Cahiers du journalisme (n°10, printemps-été 2002, «Notes de lecture»)

 

Dans la longue liste des ouvrages critiques sur le journalisme français, le plus souvent œuvres de sociologues ou d'observateurs extérieurs tant «l'omerta» de la fausse confraternité continue à faire des ravages et à taire la critique devant le succès d'audience, le livre de Jean-Pierre Tailleur tranche précisément par le fait qu'il n'hésite pas à s'en prendre, cas concrets à l'appui, aux monstres de référence d'un journalisme «libéré» et d'investigation rigoureuse que seraient Le Monde ou Le Canard enchaîné.

Pan sur le bec, parfois, en effet. Et salutaire travail que de démythifier, toujours, même si nos confrères illustrent plutôt globalement le journalisme d'indépendance qu'ils ne le desservent. Que les journaux français soient insuffisamment critiques à l'égard d'eux-mêmes, que ces critiques soient trop vite balayées par les «responsables» patentés des médias, qu'il n'existe aucun dispositif réglementaire ou volontaire pour organiser, canaliser et permettre l'existence d'un «contre-pouvoir civique» critiquant utilement les médias, tout cela est juste. Le livre fourmille à cet égard d'exemples et d'illustrations précises, vérifiées et authentifiées.

Que le journalisme français souffre de «maladies infantiles» liées à son origine par trop littéraire, à ses premiers combats militants, à ses embrigadements historiques dans le combat politique partisan, ou à son avachissement dans la pensée unique ou «marketée» n'est pas contestable. On nous pardonnera cependant de regretter de lui voir opposer sans tellement de nuances le modèle d'un journalisme anglo-saxon qui n'aurait de défauts que de paille face à la poutre du «maljournalisme» français.

Car le journalisme «à la française», sur le fond, n'a pas que des défauts. Sa conviction profonde reste que l'information doit s'adresser d'abord à des citoyens avant de s'adresser à des clients. Entre le journalisme marchand ultra-libéral mené principalement par les contraintes du marketing, considérant l'information comme une marchandise ordinaire, et le journalisme rigide placé sous contrôle étatique ou idéologique, considérant l'information comme un enjeu stratégique de manipulation des foules, il y a place pour un journalisme réfléchi et responsable.

Ce journalisme «à la française», épuré certes de ses déviations originelles, mais sans complexe face à un journalisme «à l'anglo-saxonne» prompt à donner des leçons de factuel, mais qui vient encore d'illustrer ses propres déviations patriotico-simplistes, pour tout dire hégémoniques et impérialistes. Un journalisme dans lequel un journaliste réfléchi et responsable, conscient, prend aussi le risque indispensable d'exposer, en plus des faits vérifiés et contrôlés, les éléments de contexte, d'histoire et de compréhension d'un événement d'actualité. C'est pourquoi en effet, l'exigence d'une grande culture générale, alliée à de solides principes éthiques, reste aussi forte et nécessaire. Jean-Pierre Tailleur, sur ce point, ne manquera pas de nous rejoindre.

Loïc Hervouet, Directeur-général de l'Ecole supérieure de journalisme de Lille

 

Réponse de JP Tailleur:

--Il faut tout d’abord saluer l’ESJ de Lille qui, contrairement à la plupart de ses confrères (EJ de Toulouse excepté), aura réagi dans les mois suivant la publication de BDP. Cet essai a une dimension pédagogique, en effet, parce qu’il expose, exemples à l’appui, ce qu’un bon reporter doit s’abstenir de faire. «La longue liste des ouvrages critiques sur le journalisme français» comprend trop de livres qui se perdent dans des généralités socio-politiques ou culturello-éthiques…

--Je rejoins Loïc Hervouet sur les aspects néfastes du journalisme anglo-saxon. Il n’est pas totalement un modèle pour les medias français, et j’en ai d’ailleurs débattu publiquement à la fin de mes études à Columbia, avec la doyenne de la «Graduate school of journalism».  Mais cela ne doit pas nous éviter d’ignorer le maljournalisme propre à la presse hexagonale. Si l’exemple anglo-saxon est à rejeter pour son sensationnalisme et son autarcie culturelle, nous devons nous en inspirer pour son autocritique des journaux et pour sa culture du reportage et des faits, plus développées qu’en France.

--En bottant en touche par une présentation simpliste et donc erronée de BDP, le Directeur général de l'ESJ de Lille a désinformé les lecteurs des Cahiers du journalisme. Cette réaction illustre la faiblesse de la réflexion critique dans les écoles françaises.

 

NB: Lire aussi la critique de BDP par le Club de la presse de Lille.

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