Bevues de Presse

Autre interview de l'auteur

 

Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme

 

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 --Comment arrivez-vous à ce constat d'un maljournalisme à la française?
Je m’en suis aperçu la première fois que j’ai été publié dans un journal de notre pays, il y a une dizaine d’années. Etudiant de  l’école de journalisme de Columbia, à New York, je démarrais dans la profession. Je souhaitais retourner en France par la suite, et proposais à des publications françaises des adaptations d’articles écrits en anglais, dans le cadre de ce programme très pratique. Le rédacteur en chef qui a «géré» ma première enquête publiée a commis un exploit: 28 fautes en la réécrivant sur une page, si je me souviens bien. Il a notamment inventé l’âge d’une des personnes que je citais, d’après sa photo, ou bien attribué un fils à quelqu’un qui n’avait qu’une fille. Aucune excuse de sa part, lorsque je l’ai fait remarquer à son journal. J’ai appris, par la suite, que la plupart des journalistes français sont plus compétents, mais je constate aussi que beaucoup de nos confrères tolèrent trop de telles pratiques.

 --C’est seulement sur la base de vos propres expériences que vous avez découvert cet amateurisme?

Non, ces mésaventures, amusantes avec le recul, n’ont été que des révélateurs. La lecture critique de nombreuses enquêtes publiées dans les journaux constitue le socle sur lequel est établi mon livre. J’ai noté aussi qu’en France, certaines personnes qui se croient et que l’on présente comme de grands reporters, n’obtiendraient même pas un 5 sur 20 dans une école de journalisme américaine. Ce que j’appelle maljournalisme, ce n’est pas tant leurs «bévues», mais l’omerta, l’absence de critique de leurs supposées prouesses journalistiques. Pour résumer, mon livre n’est que le résultat d’une démarche très empirique.

--Vous avez porté un regard comparatif sur des journaux étrangers. Qu'y avez vous trouvé d’intéressant, susceptible d'être retenu par les Français?

Je ne considère pas que les grands quotidiens étrangers soient meilleurs que Le Monde, Le Figaro ou Libération. Je note, simplement, que dans des démocraties comparables, il y a une meilleure couverture des médias par eux-mêmes. Nous, Français, aimons beaucoup critiquer les journaux états-uniens lorsqu’ils commettent des couacs retentissants. Ils peuvent être bien pires, et bien meilleurs aussi. Nous avons trop tendance à généraliser à partir de la presse à scandale outre-Atlantique, et à ignorer les longues, excellentes enquêtes publiées par des publications dont nous n’avons pas l’équivalent. Du New York Times à Vanity Fair, on peut y lire des articles souvent plus profonds et mieux léchés qu’en France.

--La presse anglo-saxonne est la seule à pouvoir apporter des leçons?

Non, même dans des démocraties que nous regardons avec trop de condescendance, on trouve parfois des rédacteurs en chef plus soucieux de l’intérêt de leurs lecteurs-citoyens. Franco-argentin, je suis à la fois heureux et désolé de constater que les journaux régionaux du pays de ma mère sont de manière générale plus «pros» que les quotidiens de province français. La supériorité des confrères espagnols est encore plus éclatante, et je ne comprends pas qu’aucun de nos «médiologues» ne se soit vraiment interrogé sur cela jusqu’à présent. Il est temps, à l’heure où nous utilisons la même monnaie, de faire des études comparatives et d’en tirer des leçons.

--Les journaux sont-ils assez indépendants des pouvoirs?
Cette question, posée ainsi, m’intéresse assez peu. Ce qui me parait plus pertinent, c’est de savoir si oui ou non les journaux font des enquêtes en bonne et due forme. Une rédaction qui braille contre un député ou un maire n’est pas forcement un contre-pouvoir. Si ses affirmations et ses critiques ne sont pas basées sur une enquête sérieuse, elles permettent à ces hommes politiques de bénéficier d’un simulacre de débat démocratique. Même lorsqu’on s’acharne contre eux. Lors d'une rencontre entre Jacques Blanc, le Président de la région Languedoc-Roussillon, et des journalistes locaux, j'ai remarqué comment les accusations d'être trop proche de l'extrême droite arrangeaient le premier. Elles occupent l'essentiel des débats sur sa personne, ce qui évite qu'on l'interroge avec persistance sur sa gestion des deniers  publics.

--Vous dénoncez l'absence d'enquête dans la presse en général, et plaidez pour l'investigation. N'est ce pas le sensationnalisme que vous recherchez au détriment d'une presse respectueuse des hommes et des institutions qui sont les piliers de la démocratie?

Excusez-moi d’être un peu abrupt, mais la confusion que vous faites entre «investigation» et «sensationnalisme» est un des symptômes du maljournalisme. Lorsqu’un grand journal ne respecte pas la vie privée ou fait des révélations parce qu’un juge ou un flic lui a fourni un «package» d’informations vérifiées parcimonieusement, il ne fait pas d’investigation. Le jour où, en France, ce terme sera attribué exclusivement à des enquêtes longues et rigoureuses, le maljournalisme sera peut-être en voie de disparition.

--Vous êtes sévère à l'égard des titres de la presse quotidienne régionale. Que reprochez-vous à ces journaux?

De mal remplir leur première mission: la couverture de l’actualité citoyenne locale. Je ne me réfère pas à leurs pages nationales ou internationales, qui sont des «digest» d’articles fournis par des agences comme l’AFP. Dans ces quotidiens, l’information de proximité est excessivement cantonnée dans le suivi complaisant des réunions de chasseurs, des cocktails d’associations ou des concours de pétanque, pour résumer. On y voit des Français qui s’amusent comme dans le si décrié Loft story, ou qui écoutent passivement leurs élus locaux. Ces publications semblent destinées à des lecteurs qui veulent voir leurs voisins ou leurs cousins en photo. Elles ne se soucient pas assez de la valeur ajoutée informative des articles publiés. Face à une si médiocre réalité, la levée de boucliers à laquelle nous avons assisté à cause de la presse gratuite, me fait beaucoup sourire!

 

--Que pensez-vous de cette nouveauté, justement?
Pas grand chose, en fait. Les gratuits peuvent difficilement faire pire que la plupart de nos quotidiens régionaux. Ceux que j’ai pu lire à ce jour, à Barcelone ou Buenos Aires, m’ont semblé très bien fait, même s’il leur manque les enquêtes que l’on trouve dans les grands journaux. Mais j’en ai vu, malgré tout, dans le journal argentin La Razón. L'arrivée d'une presse gratuite en France me parait surtout intéressante à cause des débats qu’elle commence à susciter. Les figures de la profession qui critiquent sa qualité avant même de l’avoir lue devront, tôt ou tard, la comparer avec une partie de la presse qui, bien que payante, est particulièrement médiocre.


--Pensez-vous que les citoyens vont s'intéresser à ce débat sur la qualité de la presse?

Je ne sais pas, mais je suis convaincu que c’est dans leur intérêt. Espérons que mon livre y contribue.

--Le sondage Télérama évalue chaque année la cote de crédibilité des médias. Finalement, les Français sont moins sévères que vous...
Ces sondages, également résumés dans La Croix, sont en partie des fumisteries. Lisez-en les comptes-rendus, et vous verrez que les médias y sont peu jugés par rapport à la qualité de leur contenu. Ce qui compte pour ceux qui profitent de ces «marronniers», c’est juste la perception que les sondés peuvent avoir des journaux.  Ma démarche est totalement inverse: plutôt que d’évaluer la presse à travers le regard intermédiaire d’instituts ou de sociologues, je préfère la juger sur pièce!

 

--Comme nombre de vos confrères, vous ne parlez pas des trains qui arrivent à l'heure. Mais, quels sont selon vous les points forts de la presse en France?

Je trouve que nous avons des analystes de très haut niveau, souvent. J’apprécie beaucoup certaines enquêtes de société, publiées dans Le Monde ou Libération par exemple. Idem pour L’Express et le Nouvel Observateur. Nos radios et télévisions diffusent aussi d’excellents débats et enquêtes, comme «Capital» sur la chaîne M6. Une émission de la qualité de «L’esprit public», sur France culture, avec Philippe Meyer, Jean-Claude Casanova et Max Gallo, je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup dans d’autres pays. J’ai d’ailleurs recommandé à la plupart de mes amis francophones vivant à l’étranger, de l’écouter sur internet.

(Questions de Laurent Lesage,  mars 2002)

 

 

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