Essai pour un vrai débat sur le maljournalisme

Rebonds sur journalisme en 2005

09 octobre 2005

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Lire aussi les rebonds sur 2004

12 - Le nouveau Figaro n’est pas à la hauteur d'un quotidien national généraliste le plus vendu en France.

11 - Le contraste entre la dignité de Florence Aubenas et l'information-émotion sur ses malheurs et son retour.

10 - Envoyé spécial fait de la presse une victime, seulement, des mensonges post-Tchernobyl.

  9 - Inforexie et autocensure facile de la presse.

  8 - L’amateurisme médiatisé des bizuths de la TNT et le silence sur des couacs en presse écrite.

  7 - La nouvelle formule du Midi Libre est plus intéressante que celle de La Provence, mais...

  6 - Le Prix Albert Londres, une agence de voyage pour ses jurés?

  5 - L’affaire Gaymard et la lâcheté des politiques.

  4 - D’Auschwitz au tsunami, en passant par l’Alsace: de l’info-émotion au souvenir occultation.

  3 - Mal info, maljournalisme et malhonnêteté.

  2 - L'Express fait de l'Edwy Plenel avec Philippe Cohen et sa biographie de BHL.

  1 - La presse et les propos nauséabonds d'un auteur plus politiquement correct que Le Pen

 

12 - Spots publicitaires a la télévision, ample couverture «journalistique» dans les medias audiovisuels, le nouveau Figaro n’est pas passé inaperçu. Mais les Français ont essentiellement été informés sur les aspects visibles de ce changement «historique»: des pages aérées et rétrécies en largeur, un fond de titre bleu. Lundi 3 octobre 2005, jour de la relance du quotidien, aucun grand média n’a relevé le nombre pitoyable de communiqués publicitaires pour des produits de luxe, déguisés en articles, dans le nouveau cahier «Le Figaro et vous».

Plus consternant encore, un des articles annoncés en Une, sur l’ouverture des négociations pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Il est présenté comme un reportage sur les états d’âmes du peuple turc, et démarre avec le témoignage d’un dénommé Hassan. Heureux hasard, ce représentant de la population ottomane est… plombier. Mais ses propos sont vagues et inintéressants, et on ne lui attribue pas de nom de famille. Le lecteur peut  facilement déduire qu’il s’agit de propos inventés par la journaliste. Dans le reste de l’article, elle ne rapporte que des commentaires publics d’éditorialistes et de gouvernants turcs. Le peuple est seulement présent par un artifice de la mise en page, montrant une grande photo de manifestation contre les exigences de l’UE.

Nicolas Beytout et Serge Dassault, respectivement directeur de la rédaction et propriétaire du Figaro, sont moins exigeants, eux, dans leurs colonnes. Pourtant, s’ils tolèrent ce type d’enquête bâclée et se contentent de ravalements de façades et de pubs télé, la nouvelle formule de leur journal sera un échec comme tant d’autres. Quant aux critiques qui leur sont adressées, elles resteront vaines elles aussi, tant qu’elle se cantonneront dans la dénonciation de la ligne libérale et de la main mise d’un avionneur sur Le Figaro.

La même semaine, les médias français ont amplement couvert des soupçons de dopage révélés par L’Equipe. Ils concernaient le joueur de tennis argentin Mariano Puerta, finaliste de Roland-Garros en 2005. Inversement, en fermant les yeux sur les cas de dopages journalistiques à la Hassan-le-plombier, ces mêmes médias n’incitent pas les dirigeants de journaux à trouver la meilleure formule pour sortir du marasme : investir dans les reportages davantage que dans les apparences.

 

11 - Heureux dénouement pour la journaliste de Libération Florence Aubenas, dont on a pu découvrir la personnalité sympathique et attachante lors de ses interviews et conférences. Préoccupante, en revanche, l'attitude des télévisions françaises dimanche 12 juin, le jour de son retour d'Irak et le lendemain de sa libération.

Exemple ces journaux télévisés de 20H qui - de TF1 à France 2 - annonçaient une grande fête populaire animée par le «DJ» vedette Laurent Garnier, Place de la République à Paris. Les radios - de RTL à France Inter - s'y mettaient aussi pour encourager les auditeurs à se rassembler. Cette communion du peuple français avait besoin d'être dopée par les médias pour en faire une manifestation «spontanée» et réussie. Tels un journaliste de TV Bucarest couvrant la venue d’Elena Ceausescu devant une assemblée, les reporters en direct sur la Place se croyaient obligés de mettre une surdose de «énormément de gens accourent» alors qu’à l’image on ne voyait que quelques dizaines de personnes attroupées. Sans parler du manque d'interrogation sur le fait que certains vont à ces concerts de soutien pour le concert, plus que pour le soutien.

La proximité sociologique et professionnelle des rédactions avec Florence Aubenas explique cela. Mais beaucoup de chauvinisme contribue également à tant d'aveuglement journalistique. En matière de sport, les médias français se comportent régulièrement ainsi. Exemple la communion dopée autour des Jeux Olympiques 2012 parisiens, lors de la création d'un jour des "Champs olympiques", le dimanche précédant. Autre exemple, quelques jours plus tard, avec les Spurs de San Antonio quand ils sont sur le point de gagner de nouveau le championnat de basket américain. Les présentateurs parlent uniquement du Français Tony Parker, comme s'il s'agissait d'un sport individuel. Mais la star de l'équipe est l'Argentin Manu Ginobili, ignoré par leurs journaux.

Les JT français de dimanche 12 juin ont uniquement traité le mono-sujet du retour d'Aubenas, pratiquement, négligeant en particulier les élections du Liban ou des attentats à la bombe en Iran. Ce choix éditorial était d'autant moins excusable qu'à l'inverse, Libération ne s'est pas laissé emporter outre mesure par l'émotion. Dans son édition du lundi, ses 19 pages consacrées à un événement qui le concernait directement étaient normales. Les camarades de la journaliste ont plutôt bien couvert le reste de l'actualité, contrairement à leurs confrères de l'audiovisuel.

 

10 - France 2 a diffusé un reportage accablant sur la gestion de la catastrophe de Tchernobyl par les autorités françaises. Revenant une vingtaine d'années en arrière, l’émission Envoyé spécial a fixé les projecteurs sur Pierre Pellerin, un haut fonctionnaire et scientifique en charge du suivi de ces risques en France : il aurait occulté les mesures de radioactivité sur les effets de l'explosion du réacteur ukrainien. Mais on peut s'étonner une fois de plus du caractère tardif d'une telle enquête, et surtout de l'absence d'interrogation sur le suivisme des médias.

Si on a pu autant mentir au sujet des nuages de Tchernobyl incapables-de-traverser-le-Rhin-ou-les-Alpes, c'est aussi parce qu'en ces semaines radioactives du printemps 1986, la presse française a été trop paresseuse et passive. Les rédactions n'ont pas pu rompre le silence officiel alors qu'elles étaient au courant des mesures de prévention mises en place dans les pays voisins.

 

9 - Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso devait intervenir dans l’émission politique phare de France 2, 100 minutes pour convaincre, le 21 avril. La facilité avec laquelle cette rencontre avec le public français a été annulée, sous une pression élyséenne dont on connaît mal le degré, révèle un manque de respect pour l’information en France. Cette acceptation inquiétante de la censure ou de l’autocensure est justement qualifiée d’inforexie par le journaliste Alain Joannes. Mais ce «manque d’appétence pour les faits» commence d’abord par le refus des médias de montrer comment certains de leurs confrères pourraient travailler mieux.

 

8  - Les nouvelles chaînes qui ont inauguré la Télévision Numérique Terrestre (TNT) ont été moquées par beaucoup de rédactions. Un article de Libération a notamment reproché à Direct 8 - la chaîne du groupe Bolloré labellisée Philippe Labro – ses couacs répétés. C’est étonnant comment les mêmes journaux gardent le silence devant l’amateurisme de certains nouveaux venus de la presse écrite. Ce fut notamment le cas avec le médiocre L’Européen, dernier newsmagazine lancé en France, labellisé Le Monde et Christine Ockrent.

 

7 - Un vent de reformes plus ou moins vivifiant souffle actuellement sur des quotidiens régionaux du sud de la France. Le 19 janvier 2005, on annonçait «une nouvelle Provence» en titre de l’éditorial du journal basé à Marseille. « Dans un monde toujours plus incertain, au cœur d’une région en pleine mutation, La Provence, élément essentiel d’un paysage médiatique complexe, se doit de relever les défis de l’information, et de satisfaire les exigences de ses lecteurs et de ses annonceurs » martelait l’éditorialiste vedette du journal.

Cette sentence, excessivement longue et ampoulée, illustre une réalité journalistique qui n’a rien de complexe, malheureusement: le fleuron marseillais du groupe Hachette reste d’un niveau aussi calamiteux que ses versions antérieures. Un article annoncé en Une de ce 19 janvier, au sujet d’une soirée organisée par Jean Reno à des fins de promotion d’une huile d’olive, résume la qualité du journal. Le compte-rendu est essentiellement une liste inintéressante et non hiérarchisée, sans éléments de fond, sur les « people » invités par l’acteur. Cette édition de La Provence et celles qui suivent sont dans l’ensemble indignes du niveau d’information qu’on doit attendre dans la deuxième ville française.

En mars et plus à l’ouest, à Montpellier, Le Midi Libre a également lancé une nouvelle formule qui en apparence pourrait ressembler à un journal tenant compte des constats exposés dans Bévues de presse. A première vue, les responsables de ce journal détenu par Le Monde n'ont changé que la maquette et les polices de caractère, en y ajoutant quelques rubriques gadget. Mais ils ont fait beaucoup mieux, en mettant plus en avant l'actualité régionale et en faisant davantage appel à des éditorialistes locaux. Un deuxième cahier, réservé aux informations (inter)nationales, permet de disposer d’une deuxième page de Une pour les nouvelles traitées la veille dans les journaux télévisées de TF1 ou de France 2. Certains articles du Midi Libre restent considérablement améliorables, mais cette nouvelle formule place le quotidien montpelliérain au dessus du niveau de son voisin marseillais.

Une autre innovation intéressante du Midi Libre est la création d’un poste de médiateur, avec sa rubrique chaque samedi. La coupe est à moitié vide, cependant, car le rédacteur en question semble ignorer volontairement - espérons le pour lui - la qualité de certains articles. Sa chronique constitue essentiellement une fausse d'autocritique, évitant les questions qui fâchent.

Cela étant, il y a au Midi Libre une volonté plus affirmée qu’à La Provence de mieux informer. Sa forme s’est améliorée et ses choix de sujets sont plus pertinents, parce qu’ils semblent mieux ancrés en Languedoc-Roussillon, dans le champ de reportage du journal. Mais il lui reste encore des étapes à franchir pour se remettre en cause véritablement et pour égaler le niveau d’exigence de ses voisins espagnols ou des grands quotidiens parisiens.

 

6 - La chaîne publique France 2 a consacré toute une soirée à Albert Londres et à son enquête sur les pénitenciers de Guyane, fin janvier 2005. Comme au bon vieux temps des Dossiers de l'écran, l’émission Complément d'enquête de Benoît Duquesne était précédée par un téléfilm romanesque. Celui-ci était trop librement inspiré du récit Au bagne, écrit par celui dont le nom est (en France) synonyme de grand reportage de qualité. Ces enquêtes de France 2, consacrées aux journalistes morts en Algérie, au dernier bagne de Madagascar et à des handicapés mentaux de la prison de Château-Thierry, n’avaient pas de liens directs avec l’oeuvre du rédacteur vedette du Petit parisien.

Seule la séquence sur la ligne de chemin de fer Congo Océan faisait exception, mais les reportages en question étant de très bonne qualité, de tels artifices promotionnels étaient de bonne guerre dans la course à l’audience. On pouvait regretter, en revanche, les références trop évasives aux travaux d’Albert Londres. Il n’y a pas eu de débats sur ses méthodes de travail, le film et les invités de Benoît Duquesne jouant sur le mythe d’un reporter qui fit fermer les centres de détention. Si c’est vraiment le cas, pourquoi a-t-il fallu attendre une quinzaine d’années avant que cela ne devienne une réalité ?

L’ex-animateur et humoriste Antoine de Caunes tenait le rôle du grand reporter sans convaincre, contrairement à l’acteur professionnel Laurent Malet, par exemple (dans celui du bagnard Dieudonné, rebaptisé Camille Desfeuilles). Le tournage a eu lieu à Cuba pour des raisons de coûts, ce qui frôlait l’indécence vu le caractère dictatorial du régime castriste. Mais c’est surtout l’interview d’Henri Amouroux, président du jury du Prix Albert Londres, qui dépassait les bornes du ridicule : à l’entendre, on comprenait la vacuité relative de ce mythe, ne justifiant pas son statut dans la culture journalistique française. Le cérémonial qui accompagne l’annonce du Prix permettent aux membres de cette institution de faire des grands voyages, retenait-on aussi des propos d’Henri Amouroux

 

5 - Hervé Gaymard est coupable d’avoir abusé d’un privilège en période de vaches maigres. Il n’aurait pas dû avoir la possibilité de se loger dans un appartement surdimensionné et excessivement cher. L’irresponsabilité et l’inconscience de l’ex-ministre de l’économie, finalement dénoncée par des articles du Canard enchaîné et de Libération notamment, est évidente. Cela étant, Hervé Gaymard s’est excusé et a été poussé à la démission, sous les clameurs d’un débat public. Le contraste est saisissant avec l’impunité dont ont bénéficié Jean-François Kahn ou Jean Miot, dirigeants de Marianne et du Figaro logés dans des appartements parisiens à loyers réduits. Ce dernier a également été un des complices de Jacques Crozemarie, l’escroc de l’ARC, avant d’être nommé patron de l’AFP... On peut aussi se remémorer comment le Canard enchaîné a étouffé les fautes graves de son journaliste André Rougeot, enquêteur sur l’affaire Yann Piat. De même Libération avec un journaliste bidonneur, évincé en plusieurs étapes dans un silence corporatiste.

Le départ d'Hervé Gaymard est à rapprocher également avec la désinvolture des équipes de Karl Zéro et de France 2 lors des pseudo-révélations sur l’affaire Alègre-Baudis. Des fautes professionnelles restées sans conséquences pour les intéressés, tout comme celles de Thierry Ardisson. L’animateur de Tout le monde en parle est à l’origine de la surmédiatisation de Thierry Meyssan ou d’un défenseur du «barebacking» (les séropositifs qui refusent les préservatifs), sans payer pour ces bévues. Ce déséquilibre de traitement entre un aveuglement ministériel d’un côté, et des fautes médiatiques graves de l’autre, est à mettre sur le dos de la corporation des journalistes, mais pas seulement. Il y a aussi la lâcheté des politiques, qui se gardent de se défendre en faisant de ce déséquilibre un thème de débat public non partisan.

 

4 - Les écoles de journalisme enseignent la règle du mort kilométrique, qui consiste à prendre conscience qu’un décès dans la zone de chalandise d’un journal intéresse plus qu’une centaine de morts à des milliers de kilomètres. La couverture médiatique successive des dégâts du tsunami et de la libération des camps nazis en 1944-45 a à la fois prouvé et infirmé la validité de ce constat. La catastrophe d’Asie du sud-est a fait l'objet d'un déferlement de reportages à la hauteur de la gravité du drame. Certaines rédactions françaises ont cependant opté pour couvrir le désastre à travers les blessures relativement bénignes de concitoyens de passage au Sri Lanka ou en Thaïlande. Le comble du ridicule – et de l’émotion substituée à l’information - a été atteint par un journal de France 2. Il s'est en effet attardé sur une «cellule psychologique» mise en place pour des pompiers du Nord, de retour d’un séjour d’une semaine en Asie du sud-est. C’était la commotion kilométrique dérobant du temps d’antenne aux conditions kilomortelles, tout en évitant une question: la mission de ces pompiers avait-elle été bien préparée?

Comme pour le tsunami, les 60 ans de la libération d’Auschwitz, en janvier 1945, ont donné lieu à une médiatisation à la hauteur de la catastrophe. Mais la presse française n’en a pas profité, curieusement, pour appliquer la règle du mort kilométrique au Struthof-Natzweiler. Il s’agit du seul camp de concentration sur sol français, construit dans l'Alsace annexée par l'Allemagne nazie, et le premier libéré par les Alliés en novembre 1944. Une dizaine de milliers de personnes ont péri au Struthof, des déportés politiques de toutes nationalités et aussi des juifs comme en Pologne. Ce fut un camp d'extermination de moindre dimension, mais on y opéra des gazages comme à Birkenau. Certaines expériences «médicales» et raciales y furent même menées par des «scientifiques» issus de l’université de Strasbourg.

Pourquoi de la sur-emotion sur les Français d’Asie du sud-est d’un côté, et de l’autre, cette sous-information sur un camp nazi dans les Vosges ? La règle du mort kilométrique est bien flexible.

 

3 - Peut-on parler de délinquance sans parler de délinquants ou de policiers? De contagion par le Sida sans évoquer ceux qui le transmettent ? De mauvaise littérature sans critiquer des écrivains ? De mauvais élèves sans rappeler aussi qu’il y a des mauvais professeurs ? C’est pourtant le discours tenu par l’Observatoire du débat public, dont l'enquête sur la «mal info» évite la question du maljournalisme. Ceux qui ont longuement médiatisé cette étude - Le Monde, Libération et France Inter notamment – se sont bien gardé, eux aussi, de noter une évidence: les citoyens s’informent mal également à cause de la médiocrité des informations servies.

 

2 - La Une – et l’immense publicité - faite par L’Express à BHL, une biographie, un livre  «polémique» sur Bernard-Henri Lévy, est consternante. L'essai est pauvre en analyses de fond sur l'intellectuel médiatique et contient des erreurs factuelles qui illustrent le manque de rigueur de son auteur, Philippe Cohen. On peut juste se réjouir de sa relative modération par rapport à La face cachée du Monde, livre co-signé par le journaliste de Marianne avec Pierre Péan.

Ce dossier de L'Express laisse un arrière goût de négation du journalisme. Brochure publicitaire des éditions Fayard, l’hebdomadaire dirigé par Denis Jeambar s’est contenté de reproduire des extraits de BHL, une biographie. Le tout complété par une longue interview du philosophe, en faux contrepoint car il n'y a pas de questions qui fâchent. La discussion avec Lévy porte sur les débats intellectuels qu'il a suscités ou sur sa médiatisation, mais pratiquement pas sur les mensonges dont il est accusé. L'Express n'a pas mentionné dans ce numéro les autres essais sur BHL déjà paru ou à paraître. L’existence du B.A.BA du BHL, une critique mieux argumentée du «romanquêteur», n’y est pas rappelée (alors que l'hebdomadaire l’a brièvement présentée quelques semaines plus tôt). Enfin et surtout, le plus grand hebdomadaire français n'a publié aucune critique du livre de Philippe Cohen dans ce numéro. Ce vide journalistique est d'autant plus étourdissant quand on découvre de véritables travaux critiques dans des sites Internet dépourvus de moyens, comme celui du stalker.

Le Nouvel observateur a consacré deux pages pleines, de son côté, à BHL, une biographie. Un bon papier d'Aude Lancelin, mais à fleuret moucheté. Cet essai est au mieux un récit bien écrit sur les moeurs intello-médiatiques françaises, s’attardant sur l’anecdotique. Un livre sur un loft parisien dont les habitants se chamaillent pour des causes plus ou moins abstraites, basses ou lointaines. Ainsi, ces 450 pages ne laissent apparaître rien de la France qui a le malheur d’être située hors des radars de Cohen et de BHL Hors des quatre ou cinq arrondissements fréquentés par ces lofteurs de la politique, des rédactions ou de l’université.

Une des révélations les plus intéressantes de BHL, une biographie porte sur les mensonges de l’auteur de Qui a tué Daniel Pearl? au sujet de son amitié avec le commandant Massoud. Mais on ne peut pas dire que Cohen ait vraiment enquêté sur ce thème. Cette information lui a été servie sur un plateau par le documentariste Christophe de Ponfilly, spécialiste de l’Afghanistan. Au fil des 450 pages, on note aussi une série d’erreurs qui rappellent que Cohen, tout comme Marianne, n’est pas un modèle de rigueur journalistique (exemple Christine Ockrent, présentée comme éditorialiste du gratuit 20 minutes alors qu’elle écrit pour Métro). BHL, une biographie n’est en somme qu’un micro-phénomène artificiellement monté en épingle, car le travail de Cohen est au journalisme ce qu’un «romanquête» de Lévy est à l’investigation. Une illustration de ce qui est dénoncé, en moins brillant qu'a écrit l'auteur de La barbarie à visage humain

 

1 - L’écrivain chilien Luis Sepulveda a écrit des phrases nauséabondes dans un livre où il assimile les massacres perpétrés à Auschwitz et ceux de Sabra et Chatila. Lors d’une longue interview dans les matins de France Culture, son interlocuteur a attendu plus d’une heure avant de dénoncer ses idées et son discours excessivement haineux envers Sharon ou les Etats-Unis. Luis Sepulveda tient des propos aussi répugnants que ceux de Jean-Marie Le Pen, mais on ne l’attaque pas d’emblée sur ses dérapages. Ils sont même ignorés par les mêmes journalistes qui ont pourtant l'habitude de distinguer Céline l'auteur de Céline le raciste.

Sur la question chilienne, les médias français gagneraient à donner aussi la parole à des écrivains plus intéressants car plus nuancés. Ainsi Jorge Edwards, auteur reconnu dans le monde hispanophone, allendiste quasiment passé sous silence dans l'Hexagone. Son tort est probablement de n'avoir pas dit que du mal du régime d’Augusto Pinochet ou des Américains, et d'être devenu anticastriste après un séjour à Cuba. Les journaux français traitent avec plus de manichéisme la réalité politique latino-americaine...

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La dernière mise à jour de ce site date du 09-10-2005